La coalition militaire sous commandement saoudien, soumise à d'intenses pressions internationales, a consenti à ouvrir une enquête le 10 août, au lendemain de la mort dans le bombardement d'un bus scolaire d'au moins 29 enfants dans la ville de Dayhan, tenue par la rébellion Houthie dans le nord du Yémen.
Pour l'ambassadrice britannique à l'ONU Karen Pierce, qui préside actuellement le Conseil de sécurité et s'exprime en son nom, cette enquête doit être "crédible et transparente".
Mais "les enquêtes que l'on mène sur soi-même, sans supervision internationale, posent toujours problème", confie à l'AFP James Dorsey, spécialiste de la région à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour. "Les résultats en seront contestés et ne pourront être considérés comme crédibles".
L'avis d'Akshaya Kumar, directrice adjointe de l'ONG Human Rights Watch pour l'ONU, est plus tranché: "La triste vérité est que l'on a donné aux Saoudiens l'opportunité d'enquêter sur eux-mêmes et les résultats sont risibles".
Annonçant l'ouverture de ces investigations, la coalition --qui intervient depuis 2015 en soutien aux forces gouvernementales contre les Houthis-- a pour l'instant évoqué des "dommages collatéraux subis par un bus de passagers" à l'occasion d'une "opération des forces de la coalition".
Pour Sheila Carapico, professeur à l'université américaine de Richmond, "un raid aérien contre un bus d'écoliers semble être une violation flagrante des lois de la guerre. Mais en l'absence d'enquêteurs professionnels et indépendants, on ne saura sans doute jamais".
"Malheureusement", confie-t-elle à l'AFP, "l'armée saoudienne va certainement refuser toute enquête indépendante et ses principaux fournisseurs d'armes, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ne semblent pas prêts à aller dans ce sens. Le royaume d'Arabie saoudite, qui n'a aucune expérience dans ce genre d'enquête, se contente presque toujours de publier des démentis".
"Très improbable"
Paris, Londres et Washington, qui soutiennent politiquement et arment la coalition dirigée par Ryad, ont condamné la frappe.
Mais ni la France, ni le Royaume-Uni,ni les Etats-Unis n'ont exigé l'envoi d'enquêteurs indépendants, contrairement à ce qu'ont demandé notamment les Pays-Bas, par la voix de leur ambassadrice-adjointe à l'ONU.
L'enquête devra être "approfondie et transparente", s'était contentée de déclarer jeudi Heather Nauert, porte-parole du département d'Etat américain.
Elle a indiqué dans un communiqué que le secrétaire d'Etat Mike Pompeo s'était entretenu lundi par téléphone avec le prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane. Les deux hommes ont évoqué "le travail de l'émissaire spécial de l'ONU pour résoudre le conflit au Yémen", a-t-elle souligné, sans autre détail.
"L'expérience de l'Arabie saoudite en la matière, son manque de transparence et ses pratiques en matière de droits de l'Homme ne donnent pas beaucoup de raisons d'avoir confiance en une enquête qu'elle va mener", regrette James Dorsey. "Et, pour les mêmes raisons, il est très improbable qu'elle accepte une enquête indépendante".
Depuis le lancement de l'offensive de la coalition contre les rebelles Houthis, les civils yéménites ont payé un lourd tribut sans que les responsabilités ne puissent être clairement établies.
En septembre 2015, une salle de mariage a été touchée, faisant 131 morts (la coalition a démenti être impliquée). En octobre 2016, le bombardement d'une cérémonie funéraire à Sanaa a causé la mort de 140 personnes.
La coalition a fini par admettre sa responsabilité dans certains raids, mais en accusant toujours les Houthis de se servir de civils comme boucliers humains.
Lundi, le ministre d'Etat émirati aux Affaires étrangères, dont le pays est un pilier de la coalition, a admis que des bavures pouvaient se produire.
"Cette guerre a été et reste une sale guerre" où des civils sont bombardés et tués, a déclaré Anwar Gargash lors d'une conférence de presse.
Réagissant aux appels pour une enquête indépendante, le ministre a rappelé que dans divers conflits, de nombreuses parties n'avaient pas autorisé de telles investigations dans des zones de guerre. "L'appel devrait plutôt porter sur un renforcement de nos règles d'engagement", a-t-il estimé.
Pendant les guerres en Afghanistan, en Irak ou en Syrie, où la force aérienne a été largement employée, de nombreux civils ont été victimes de bombardements. Les enquêtes menées par les belligérants ont parfois admis des "dommages collatéraux". La venue d'enquêteurs indépendants a été exceptionnelle.
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