Le quinquagénaire, casquette sur la tête, retrouve aux aurores son partenaire de traite Sofian (les prénoms ont été modifiés) pour deux heures et demie de travail matinal.
Le binôme a en charge une vingtaine de vaches, sur les 53 que compte le troupeau. Matin et soir, la mécanique est la même et le geste, assuré.
"Je nettoie [le pis] pour éviter les bactéries, ensuite je le désinfecte", avant d'accrocher les trayons, raconte avec passion Alfred.
Incarcéré pour port d'arme depuis avril au centre pénitentiaire de Mariestad, dans le sud-ouest de la Suède, ce père et grand-père couvert de tatouages aux bras ne cache pas son plaisir au contact des bêtes.
"Je les aime (...) Ce travail me donne quelque chose", souffle-t-il.
Dans cet établissement - la plus ancienne des trois prisons ouvertes de ce type en Suède, baptisée Rödjan - soixante détenus s'occupent de la ferme biologique: les fleurs sont arrosées, les barrières repeintes, la pelouse tondue. Une dizaine d'entre eux est en charge du bétail.
Des détenus en liberté
Le pays scandinave est parmi ceux au monde comptant le moins de prisonniers, avec 0,5 détenu pour 1.000 habitants, deux fois moins qu'en France (1 pour 1.000 habitants). Le budget consacré pour chaque personne détenue - ou placée sous surveillance - y est en revanche deux fois plus élevé.
La Suède fait beaucoup pour éviter l'enfermement. Elle privilégie les peines dites de probation à la prison ferme pour quelques mois, généralise l'usage du bracelet électronique, recourt aux travaux d'intérêt général, et systématise la remise en liberté conditionnelle aux deux tiers de la peine.
Le pays investit aussi lourdement dans la réinsertion, grâce à l'apprentissage de la langue, la formation professionnelle.
"C'est notre manière de réintégrer les gens dans la société de la meilleure des manières, pour qu'ils ne reviennent pas", explique Britt-Marie Johansson, responsable de l'établissement.
Le taux de récidive en Suède est de 30%, deux fois moins élevé qu'en France selon les statistiques pénitentiaires.
Classée en catégorie 3, Rödjan fait partie de la vingtaine d'établissements au niveau de sécurité "faible" (les catégories 1 et 2 correspondants à des niveaux "élevé" et "moyen"). Et comme dans tous les centres de détentions, les détenus ont leur propre cellule.
Exit caméras, barrières et fils barbelé - les détenus sont autorisés à se déplacer librement. "Nous les comptons chaque matin, durant la journée, et le soir, nous savons où ils sont à chaque instant", raconte Mme Johansson.
"S'ils font quelque chose de mal, ils repartent dans un centre au niveau de sécurité plus élevé", ajoute-t-elle.
Finalement, ne serait-ce pas les vaches les vraies détenues ? "Bien sûr!", plaisante Alfred, en refermant la barrière du pré, une fois la traite achevée.
Novices au 'travail incroyable'
Les détenus sont employés 35 heures par semaine, payés 13 couronnes (1,2 euro). Ils disposent également de deux jours de repos par semaine.
Alfred admet que sur ses jours chômés, il lui arrive régulièrement de mettre un pied dans l'étable "pour voir si tout va bien".
Si les détenus "savent que (des vaches) vont vêler, même s'ils sont en repos, ils peuvent quand même appeler la prison et demander +Comment ça s'est passé ?, ça s'est bien passé avec le veau ?+", raconte, amusée, Mme Johansson.
Michael Henningsohn, responsable de production, salut l'implication des détenus.
"Beaucoup font un travail incroyablement bon, étant donné qu'ils n'ont jamais travaillé dans le milieu", reconnaît-il, un timide sourire rempli de fierté. "C'est fascinant de voir leur attitude", après quelques jours de formation seulement.
En 2012, l'exploitation a reçu une récompense des mains du roi Carl XVI pour la qualité de son lait.
La clef du succès réside dans la routine imposée par le milieu. "Les gars savent la suivre", explique Michael.
Pour autant, Alfred ne se voit pas continuer dans le milieu agricole, lui qui a pourtant vécu entouré de vaches, dans la ferme de ses grands-parents.
"J'ai vu comment ça se passait pour eux, c'est trop dur", explique-t-il.
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