Les traits tirés et les tempes blanchies de cet ancien influent lobbyiste de Washington, incarcéré depuis juin, trahissent sa chute brutale en disgrâce.
Mais dans la salle d'audience d'Alexandria, près de la capitale, passant la main dans sa mèche impeccablement coiffée, prenant des notes et laissant même échapper un sourire aux plaisanteries du juge T.S Ellis III, Paul Manafort, 69 ans, a semblé retrouver de sa superbe d'ancien conseiller de puissants républicains et de sulfureux dirigeants étrangers.
Si c'est le procureur spécial Robert Mueller, chargé d'enquêter sur les soupçons d'ingérence russe dans la présidentielle américaine de novembre 2016, qui l'a mené sur le banc des accusés, la question cruciale d'une possible collusion entre des membres de la campagne Trump et Moscou ne devrait pas être abordée pendant ce procès.
Il porte en effet sur des faits antérieurs au passage de Paul Manafort à la tête de l'équipe Trump, entre mai et août 2016.
- "Justice rendue" -
M. Manafort est accusé de blanchiment ainsi que de fraudes fiscale et bancaire liés à ses activités de lobbyiste pour l'ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, soutenu par Moscou, et deux partis pro-Ianoukovitch. Des faits portant jusqu'au printemps 2016, a expliqué le juge, et mis à jour par Robert Mueller à la faveur de son enquête russe.
Paul Manafort plaide non coupable, a rappelé le magistrat aux jurés en plusieurs occasions.
Après près de quatre heures, les douze jurés --six femmes et six hommes-- ont été sélectionnés pour le procès qui devrait durer trois semaines.
Angelique Brickner, une artiste de 53 ans, était assise au fond d'une salle d'audience comble en compagnie de sa fille de 17 ans. "Je suis venue ici car je veux voir justice rendue", confiait-elle.
Alors que l'ire du président Donald Trump va crescendo contre les investigations de M. Mueller, ce procès ultra-médiatique embarrasse la Maison Blanche.
Paul Manafort "n'a aucune information incriminant le président", a martelé lundi l'avocat de Donald Trump, Rudy Giuliani, sur CNN. Puis d'ajouter, en soulignant la courte durée de son passage à la tête de la campagne: "C'est juste... quatre mois, ils ne vont pas se mettre à comploter sur les Russes".
Une poignée de manifestants anti-Trump se sont rassemblés tôt devant le tribunal, un des panneaux brandis moquant le fidèle silence de l'accusé: "Trump ne passerait pas une seconde en prison pour toi".
Certains espèrent que Paul Manafort finira par révéler des informations importantes pour le dossier. Il était notamment présent lors d'une réunion entre une avocate russe, le fils du président, Donald Trump Jr. et son gendre, Jared Kushner, en juin 2016.
- Espoir d'une grâce? -
Les procureurs devraient appeler à la barre plus de trente témoins, dont son ancien associé Richard Gates qui coopère avec Robert Mueller depuis qu'il a accepté de plaider coupable en février.
Parmi la trentaine d'individus déjà visés par le procureur spécial, dont une majorité de Russes, Paul Manafort est le seul Américain à avoir refusé de passer un accord avec la justice pour éviter un procès.
"Manafort est resté loyal" à Donald Trump, souligne Jonathan Turley, professeur de droit à l'université George Washington. Il estime peut-être que ce procès lui permet de préserver "ses chances d'obtenir une grâce" présidentielle.
"Manafort, avec l'aide de Gates, a blanchi plus de 30 millions de dollars de revenus", écrivait Robert Mueller dans son acte d'accusation en février. Fraudant le fisc, le lobbyiste "a dépensé des millions de dollars dans des biens et services de luxe pour lui et sa famille".
Face à un jury qui ne risque pas d'être attendri par le récit de ses dépenses exorbitantes, l'accusation "apportera le coup de grâce" avec le témoignage à charge de Richard Gates, prévoit le professeur.
- "Peine sévère"-
Risquant déjà de passer le restant de ses jours en prison, Paul Manafort doit faire face à un second procès en septembre, à Washington, toujours dans le cadre de l'enquête Mueller qui l'accuse cette fois, notamment, de blanchiment d'argent et de ne pas avoir déclaré ses services de lobbyiste en faveur d'un gouvernement étranger.
Il avait été écroué en juin pour tentative de subornation de témoin. A l'époque, Donald Trump avait dénoncé une "peine sévère".
Mardi matin, le président américain a de nouveau affirmé sur Twitter qu'il n'y avait pas eu de collusion et que de toute façon ce n'était pas un délit. Une ligne de défense utilisée la veille par Rudy Giuliani.
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