Le spectacle organisé dans une salle de banquet dans une rue décrépie de la capitale philippine est loin d'être une performance tapageuse de travestis qui serait destinée aux touristes. C'est l'un des fruits de décennies de labeur d'un collectif d'hommes comme Al Enriquez qui veulent se prendre en mains.
Ils s'appellent les "Golden Gays", en référence à l'expression anglaise "Golden Years" qui signifie l'âge de la retraite.
"Quand je m'habille comme ça, c'est l'extase, je n'ai plus de tristesse en moi", dit Al Enriquez à l'AFP. "Je suis gay et je n'ai pas honte de l'être".
L'archipel a la réputation d'avoir l'esprit ouvert envers les homosexuels mais d'après les spécialistes, ils ne sont guère protégés par la loi. De même, le système de protection sociale défaillant l'est d'autant plus pour les gays du troisième âge.
C'est pourquoi les "Golden Gays" ont recruté des sponsors parmi les entreprises et les particuliers. Grâce aux drag shows qui ont lieu au moins une fois par mois, les membres de la troupe se voient offrir un bon repas et de quoi faire les courses pendant quelques jours.
"Le spectacle, c'est juste notre façon de dire merci", dit l'organisateur du collectif, Ramon Busa, 68 ans, qui, une fois maquillé et en talons hauts, s'appelle Monique de La Rue.
La majorité des 48 membres du collectif ont une soixantaine d'années. Ils font partie des millions de Philippins qui survivent avec moins de cinq dollars par jour.
Dans la vie, ils sont plongeurs, vendeurs de rue ou chiffonniers. Mais le temps de ces après-midi, la dure réalité disparaît.
"Ma mère était furieuse"
A quelques heures du début de la représentation, les odeurs de parfum et des mets frits qu'ils mangeront pour le déjeuner imprègnent les lieux. Les participants ajustent leur robe, leur maquillage et leurs longs faux-cils.
La musique pop jaillit d'enceintes qui ont connu des jours meilleurs. Dix-huit artistes défilent sur le podium, prennent la pose, chantent, atterrissent parfois sur les genoux des spectateurs, amis ou supporters.
Ces spectacles ont lieu depuis des années mais les racines des "Golden Gays" sont encore plus anciennes. Une "Maison des Golden Gays" avait été ouverte par Justo Justo, le fondateur du collectif, au milieu des années 1970. Les homosexuels pauvres ou sans abri pouvaient y passer la nuit.
Mais en 2012, à peine quelques jours après le décès de Justo Justo, ils furent expulsés par la famille de ce militant des droits LGBT, également éditorialiste.
Cependant, même sans maison, le collectif sert toujours de famille à des membres qui bien souvent n'en ont pas.
Federico Ramasamy, 60 ans, a été rejeté par ses parents lorsqu'ils ont appris son homosexualité. Il a gagné la capitale et n'est jamais retourné en arrière.
"Je suis né à la fin des années 1950, quand les valeurs de la famille étaient très importantes", explique-t-il. "Ma mère était furieuse contre moi quand elle a appris que j'étais gay. Elle m'a chassé".
Les "Golden Gays" sont devenus sa famille et c'est son refuge quand il a fini de travailler ses 15 heures quotidiennes comme plongeur, pour deux dollars par jour.
"Au jour le jour"
"Je me sens bien, surtout pendant ces événements, où on se rassemble tous ensemble", poursuit le sexagénaire.
Des liens forts qui durent jusqu'à la fin. Au fil du temps, le groupe a pleuré nombre de ses membres, le dernier en date, George Fernandez, 71 ans, est mort en juin des suites d'une infection sanguine.
De manière générale, explique l'anthropologue Michael Tan, les conditions de vie des seniors philippins sont très difficiles car les filets de protection comme la sécurité sociale et les pensions de retraite laissent à désirer.
"Mais c'est pire pour les hommes gays à cause de vulnérabilités exacerbées. Ils n'ont pas d'enfants vers lesquels se tourner même si certains d'entre eux soutiennent des neveux et nièces, et sont vulnérables à la violence", dit-il.
L'Eglise catholique, qui compte une large majorité de fidèles parmi les 105 millions de Philippins, conserve une grande influence sur la société et résiste des quatre fers à tous les projets de loi contre les discriminations, ajoute-t-il.
Ramon Busa hausse les épaules en évoquant les difficultés du quotidien et juge que ce dont le groupe a vraiment besoin, c'est d'un domicile fixe et permanent qui serait financé par un généreux donateur.
Mais avec ou sans maison, les "Golden Gays" survivront, souligne-t-il. "On vit comme ça, au jour le jour. Mais on garde la tête haute, notre volonté de vivre. C'est vraiment difficile mais on n'a pas d'autre choix".
A LIRE AUSSI.
Le rêve d'une "vie normale" du premier gay tchétchène accueilli en France
Etre gay au Nigeria: la peur au quotidien, entre violences et arnaques
Le mariage gay légalisé dans une vingtaine de pays
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.