"Cours camarade, le vieux monde est derrière toi": sous le slogan des manifestations étudiantes de mai 1968, des archives inédites de la préfecture de police de Paris sont présentées. Placés de l'autre côté des barricades, derrière les cordons de CRS, les photographes de la police "couvrent avec un point de vue décalé le contre-champs" des manifestations, résume le directeur des Rencontres Sam Stourdzé: "Finalement, n'y a-t-il pas meilleur point de vue sur les manifestants que d'être du côté de la police?"
Le 3 mai, seuls deux escadrons de CRS sont envoyés dans le quartier latin. Le 10 mai, ce sont 10.000 hommes qui sont déployés pour contenir les manifestations dont les policiers photographient aussi les dégâts. Collées sur des feuillets à œillets dans des classeurs, ces clichés "servaient à faire des notes au préfet, il est possible qu'elles aient pu servir à ficher des gens", estime la commissaire de l'exposition Bernadette Caille.
Sont également exposées des notes des renseignements généraux et d'autres notes internes que Bernadette Caille a trouvé dans des cartons d'archives. Dans l'une d'elles, le préfet de police Maurice Grimaud, demande aux policiers d'éviter la violence. Une autre, émanant d'un syndicat de policiers, fait part de leur désarroi contre leur impopularité dans les médias. Une troisième signale qu'un véhicule suspect "émet actuellement en morse".
Un télégramme "urgent" est publié le 25 mai sur le suspect numéro 1 pour la police: Dany Cohn-Bendit "fait l'objet d'un arrêté d'expulsion en date de ce jour. En cas de découverte sur le territoire, le retenir et aviser d'urgence l'état-major". Dans une autre note, manuscrite, datée de 02H58 la nuit suivante, il est précisé qu'en cas d'arrestation, il doit être conduit au 36 quai des orfèvres, le QG de la police judiciaire.
Le dernier voyage de Bob Kennedy
Des affiches, confectionnées par les étudiants des Beaux-Arts accompagnent les photos ainsi que les couvertures de Paris-Match durant toute cette année-là.
L'exposition revisite aussi la France au quotidien, une France, résume Mme Caille, dans laquelle "les jeunes ne sont majeurs qu'à 21 ans, les contraceptifs ne sont pas en vente libre, l'avortement est illégal, les femmes n'ont pas le droit de travailler en pantalon... "
Elle se termine par un coup d'œil sur le contexte mondial dans lequel s'est inscrit le mai 1968 français. Un espace est notamment dédié à l'artiste argentin Marcelo Brodsky et à son travail sur les évènements qui ont embrasé le monde cette année-là --du printemps de Prague écrasé dans le sang, aux Etats-Unis sous le choc de la guerre du Vietnam, puis des assassinats de Martin Luther King et du sénateur Bob Kennedy.
Une autre exposition présentée à Arles témoigne d'ailleurs de l'émotion suscitée par le meurtre de Kennedy. Le 8 juin, trois jours après l'attentat, la dépouille de "Bob" est transportée de New York à Washington par train. Durant les 8 heures de ce dernier voyage, une foule hétéroclite de près de 2 millions de personnes se masse le long des voies ferrées.
L'exposition conçue par son commissaire Clément Chéroux donne un triple point de vue sur l'évènement: celui du photographe Paul Fusco qui, à bord du train mortuaire, photographie les gens venus spontanément saluer la dépouille, celui de spectateurs rassemblés le long des voies ferrées dont les photos d'amateurs ont été retrouvées par l'artiste hollandais Rein Jelle Terpstra, et enfin celle de l'artiste Philippe Parreno qui a reconstitué le voyage pour, selon lui, "donner le point de vue du mort".
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