Il fait chaud. Des perles de sueur et des larmes coulent le long du visage massif aux traits indigènes d'Alvaro Gomez. Parfois, le silence reprend le dessus. Au mur, des opérations de racine carrées recouvrent un tableau: ce professeur de math-physiques de 48 ans donne des cours aux gamins du quartier.
Assis dans son humble salon aux murs en ciment, dans la ville de Masaya, il revit comme d'autres Nicaraguayens les traumatismes hérités des guerres civiles des années 1970 et 1980, alors qu'une vague de violences a déjà fait plus de 250 morts en près de trois mois. Les manifestants, qui demandent le départ du président Daniel Ortega et de son épouse Rosario Murillo, la vice-présidente, font face aux forces de sécurité du camp présidentiel.
Le "prof", comme on l'appelle, a neuf ans en 1979 lorsque l'insurrection populaire lancée par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN, gauche) fait chuter le dictateur Anastasio Somoza. Dans les années 1980, alors qu'Ortega est au pouvoir, il participe aux affrontement entre sandinistes et contre-révolutionnaires.
"La famille Ortega-Murillo est en train de faire la même chose que Somoza. Je suis en colère car nous nous sommes battu pour la révolution et (à présent), ils font tuer les fils et les petits-fils de ceux qui ont porté Daniel au pouvoir en 1979 et se sont ensuite battu pour l'y maintenir", déclare-t-il à l'AFP.
Son fils de 23 ans, qui s'appelait comme lui, travaillait dans une usine et faisait des études de finances. Il est mort sur une barricade du quartier, trois jours après le début des manifestations contre la réforme du système des retraites, devenus ensuite un mouvement de contestation du pouvoir en place.
"Sandiniste, pas danieliste"
"On raconte qu'on l'a attrapé, qu'on l'a frappé et qu'on lui a tiré dans la poitrine. Il a ensuite été traîné alors qu'il était déjà mort. C'est des policiers qui ont fait ça. Quand on m'a prévenu, je ne me suis pas inquiété car je pensais que mon fils était en train de travailler. Je suis allé à la morgue: c'était lui", raconte-t-il à l'AFP, la voix interrompue par les sanglots.
"Les gens ont très peur que l'histoire soit en train de se répéter. C'est désespérant. La population a des expressions de peur liées au danger actuel, mais aussi à l'éventualité de revivre les traumatismes provoqués à l'époque par la guerre", explique à l'AFP la psychologue Adriana Trillos.
Lourdement armés et cagoulés, paramilitaires et hommes du gouvernement, appuyés par des francs-tireurs, provoquent des scènes de panique en faisant irruption dans les villes et les villages pour démonter les barricades des manifestants, dressées selon le gouvernement par des "putschistes" et des "délinquants".
"Je suis un invalide de guerre et je me sens inutile. Depuis la mort de mon fils, je suis en colère et impuissant face à tant de morts dans cette guerre inégale. Eux (les forces d'Ortega), ils sont armés; les jeunes ont des pierres et des mortiers", confie le professeur, qui se dit toujours sandiniste mais "pas danieliste et encore moins murilliste", en référence au président et à son épouse.
Dans le quartier de Monimbo ou vit Alvaro Gomez, d'autres ont l'impression de retourner dans le passé. Angela Aleman, 69 ans, raconte que sa mère a été tuée et que d'autres membres de sa famille ont été arrêtés et torturés par les hommes du dictateur Somoza durant la guerre civile. "Aujourd'hui, je suis angoissée car mes enfants vont sur les barricades", explique-t-elle.
Selon la psychologue, la peur des "disparitions, des arrestations arbitraires, des tortures et de voir disparaître les enfants, puis de les voir réapparaître morts" a refait surface.
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