"A l'instar de la liberté et de l'égalité qui sont les deux autres termes de la devise de notre République, la fraternité devra être respectée comme principe constitutionnel par le législateur et elle pourra être invoquée devant les juridictions", a réagi auprès l'AFP le président du Conseil, Laurent Fabius.
Cette décision, qui promet de résonner comme un coup de tonnerre dans un contexte politique européen tendu sur la question migratoire, répond à une demande de Cédric Herrou, un agriculteur devenu le symbole de l'aide aux migrants à la frontière franco-italienne et qui réclamait l'abolition du "délit de solidarité". Son avocat, Patrice Spinosi, s'est aussitôt félicité d'une "immense victoire".
Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a aussi salué cette décision, tout en estimant qu'il serait disproportionné d'étendre les exemptions existantes "à l'entrée irrégulière sur le territoire français". Le Conseil constitutionnel prévoit de maintenir les sanctions dans ce cas.
Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité", rappelant que "la devise de la République est +Liberté, Egalité, Fraternité+" et que la loi fondamentale se réfère à cet "idéal commun".
"La liberté d'aider autrui"
"Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national", selon la décision.
Pour permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil reporte au 1er décembre 2018 la date d'abrogation des dispositions contestées.
Les principes généraux du droit ont été pour la plupart fixés après la Seconde Guerre mondiale et il est rarissime que de nouveaux soient énoncés.
Devant le Conseil constitutionnel, Cédric Herrou et un autre militant de la vallée de la Roya, tous deux condamnés pour aide au séjour irrégulier, avaient attaqué deux articles du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.
Ils visaient l'article 622-1, qui punit l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier de cinq ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, et l'article 622-4, qui précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu'elle est le fait de la famille ou "de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte".
Le texte précise ensuite que cette aide autorisée consiste notamment "à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux (...) ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique".
Un texte "trop vague" pour les défenseurs des militants, qui permettait de sanctionner l'aide humanitaire de la même façon que la criminalité organisée des filières de passeurs.
"En réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière", le Conseil constitutionnel estime que le législateur n'a pas respecté l'équilibre entre "principe de fraternité" et "sauvegarde de l'ordre public".
Il censure donc partiellement l'article L 622-4, sortant du champ des poursuites toute aide humanitaire au "séjour" comme à la "circulation" des migrants. En revanche, "l'aide à l'entrée irrégulière" reste sanctionnée.
Contexte politique très tendu
Concernant les conditions d'immunité listées dans ce même article, le Conseil émet une "réserve d'interprétation", c'est-à-dire qu'il précise le sens que l'on doit donner au texte: ainsi, l'immunité devrait s'appliquer aux situations énumérées (conseils juridiques, soins médicaux...) mais aussi "à tout autre acte d'aide apporté dans un but humanitaire".
Cette décision intervient dans un contexte politique très tendu sur la question migratoire.
Vendredi dernier, après des semaines d'échanges acides sur fond de sauvetage de bateaux errant en Méditerranée, les dirigeants de l'Union européenne sont parvenus à un compromis qui propose la création de "plateformes de débarquements" de migrants en dehors de l'UE pour dissuader les traversées.
En France, des voix s'étaient élevées jusque dans la majorité pour critiquer le fait que le gouvernement n'ait pas proposé d'accueillir l'Aquarius, un navire refoulé par l'Italie et qui voguait alors avec 630 migrants en détresse.
Au Parlement, députés et sénateurs ne sont pas parvenus mercredi à se mettre d'accord sur le projet de loi "asile et immigration": fin juin, les sénateurs avaient durci le texte adopté en avril par l'Assemblée nationale, qui avait précisément assoupli "le délit de solidarité". Une nouvelle écriture du texte devra donc tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.
A LIRE AUSSI.
Immigration: Philippe joue la carte "intégration" avant un projet de loi controversé
Algérie: vives critiques après des propos antimigrants d'un haut dirigeant
"Égalité et citoyenneté": les Sages écrèment la loi et censurent une mesure anti-fessée
Macron mobilise les forces de sécurité contre "l'impuissance publique"
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.