Pour les sénateurs François Grosdidier (LR) et Michel Boutant (PS) qui ont piloté une mission d'enquête de la haute assemblée, les forces de sécurité intérieure "traversent incontestablement une véritable crise qui met en péril le bon fonctionnement du service public de sécurité".
"Le problème est institutionnel", s'est alarmé mardi M. Grosdidier en présentant le rapport. "On a le sentiment que la hiérarchie et l'exécutif n'ont pas conscience du malaise ou, s'ils l'ont, qu'ils le refoulent."
Lancée après la vague de suicides qui a endeuillé les forces de sécurité à l'automne 2017, la mission d'enquête décrit des maux connus de tous au sein des forces de l'ordre, sur fond de montée de la violence et de "sentiment de déclassement".
"Ce rapport est à l'identique de ce que nous dénonçons depuis des mois", affirme le syndicat Unité SGP-FO. Majoritaire chez les gardiens de la paix, Alliance salue de son côté la "clairvoyance" des élus et réclame "un véritable plan Marshall de la sécurité".
"Locaux délabrés et indignes de l'accueil du public", "vieillissement du parc automobile" des policiers et gendarmes, taux de suicide dans la police supérieur de 36% à la moyenne nationale, "pression opérationnelle constante" ayant engendré un stock de 21,82 millions d'heures supplémentaires pour l'instant non récupérées et non indemnisées, rythmes de travail "pénibles et déstructurants", etc.: "La situation est pire qu'on le pensait", avance François Grosdidier.
"Il y a une urgence absolue à mener une révolution culturelle", avertit le sénateur qui estime la situation particulièrement grave dans la police nationale.
"Attention à l'explosion sociale", prévient M. Grosdidier alors que le ministère est encore marqué par la fronde des policiers survenue après l'attaque aux cocktails Molotov visant des fonctionnaires à Viry-Châtillon (Essonne) en 2016.
Jugeant qu'il n'y a "nulle fatalité", le rapport Grosdidier/Boutant avance 32 propositions très diverses pour "contribuer à améliorer la situation". Il préconise notamment l'élaboration d'un "livre blanc de la sécurité intérieure" avant l'adoption de lois de programmation budgétaire pour pouvoir fixer un cap sur plusieurs années. "On met l'exécutif au pied du mur", assure M. Grosdidier.
Beauvau défend son action
"Répondre à ce malaise a été la première priorité du gouvernement en matière de sécurité", rétorque-t-on dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb.
"Depuis un an, de très nombreuses mesures en faveur des forces de l'ordre ont été prises. Certaines commencent à donner des résultats", ajoute-t-on.
Outre l'engagement de créer 10.000 postes de policiers et gendarmes sur le quinquennat, Beauvau met en avant des "engagements financiers forts" par exemple "en matière d'investissement immobilier, avec 196 millions d'euros de crédits par an pendant trois ans pour la police (+5% par rapport à 2017) et 101 millions pour la gendarmerie (+9 % par rapport à 2017)". Pour les sénateurs cependant, ces efforts sont "totalement insuffisants" et "largement inférieurs de 450 millions d'euros aux besoins identifiés".
Le ministère fait aussi valoir la mise en œuvre au printemps 2018 de nouveaux plans de mobilisation contre le suicide des forces de l'ordre, même si ceux-ci ont été accueillis avec une indifférence polie en interne. Face aux critiques sur les "lourdeurs de la procédure pénale", il renvoie au projet de loi de simplification élaboré avec le ministère de la Justice et qui sera discuté au Parlement à l'automne.
Pour la droite et l'extrême droite, le travail sénatorial vient valider leurs propres constats.
Le rapport est "assez clair, pas à charge", juge Jean Leonetti, numéro 2 des Républicains, tandis que la présidente du Front national Marine Le Pen tonne: "Assez de rapports et de commissions d'enquête sans lendemain, les Français exigent des actes".
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