Même si la jeune réalisatrice de 34 ans vit désormais dans les "îles", les quartiers plus cossus de Lagos, elle a grandi au coeur de la tentaculaire mégalopole de 20 millions d'habitants, dans une famille de neuf enfants.
Kasala!, son premier film -qui signifie "problèmes" en langage de la rue-, est une "déclaration d'amour" à sa ville.
"80% de Lagos ressemble à ça, et pourtant on ne le montre jamais au cinéma. Je voulais être la voix qui porte la vie de ces gens à l'écran", raconte-t-elle à l'AFP.
Loin des scènes glamour et des quartiers chics où sont tournées habituellement les grandes productions du cinéma nigérian, Kasala! sent la sueur, la poussière, la marijuana, la viande avariée et l'huile de moteur.
Pour des raisons budgétaires, l'intrigue tient sur une journée et son ressort est simple: quatre amis "piquent" la voiture d'un oncle pour "aller faire la fête avec classe". Manque de chance, ils ont un accident et doivent absolument trouver 20.000 nairas (47 euros) avant la nuit tombée pour payer les réparations.
T.J. et ses amis sont des adolescents comme les autres. Mais dans un quartier pauvre de Lagos, une erreur de jeunesse peut rapidement tourner au drame: l'oncle est lui-même couvert de dettes et risque la mort s'il ne peut pas revendre sa voiture.
Kasala! est une comédie frôlant le dramatique sur l'amitié et l'omniprésente "débrouille" des grandes villes africaines.
Il depeint, sans jamais aucun mépris ni jugement, cette jeunesse africaine coincée dans ses ghettos, ses dettes et ses vêtements d'occasion, alors qu'ils rêvent de mener la grande vie, comme leur idôle, la superstar de l'afropop Davido.
C'est ce qui a séduit Abiodun Kassim, acteur de théâtre qui joue le rôle de Taju, le pauvre oncle criblé de dettes qui tente de joindre les deux bouts derrière son stand crasseux de la boucherie d'un marché.
"Mon personnage, c'est la colonne vertébrale du Nigeria", confie l'acteur. "C'est l'histoire de tous ces gens qui doivent forcer leur chemin dans la vie. Cette immense majorité de la population dont on ne parle jamais."
"Cinéma social"
Ce premier film a été acclamé par les critiques dans la presse nigériane, les journalistes culturels reconnaissant en Kasala! "le film qui pourrait sauver Nollywood d'une mauvaise année 2018" (Oris Aigbokhaevbolo pour Bella Naija) ou admirant "une attention aux détails taillée au rasoir pour décrire ces quartiers, dès la première scène."
"La comédie ancrée dans le réalisme, ce n'est pas quelque chose que l'on a l'habitude de voir sur les écrans nigérians", résume Dare Dan dans Lagos Film Society.
Et pour cause, aucun cinéma local n'a accepté de diffuser Kasala! en salles. "Ils m'ont dit que le public voulait voir des films qui font rêver", déplore Ema Edosio. En langage nigérian cela signifie: des films où l'on voit des gens fortunés.
"Ce cinéma social a beaucoup de mal à émerger", constate Serge Noukoué, organisateur du festival Nollywood Week, à Paris. "Ce n'est pas dans l'ADN de Nollywood, qui est de divertir. Et nous sommes toujours dans la vague 'highlife' du cinéma nigérian: très sophistiqué, dans les quartiers tendance, avec des femmes très maquillées...", poursuit ce spécialiste du cinéma africain.
Kasala! a toutefois été sélectionné parmi les films incontournables de l'année pour le festival: "C'est un film rafraîchissant, authentique", explique l'organisateur. "Ema Edosio est une 'nouvelle voix' dans l'univers de Nollywood. Ca fait du bien."
"Folie nigériane"
"J'en ai plein le dos des films qui dépeignent une réalité en carton, à paillettes, avec des acteurs qui ont un accent britannique ou américain!", s'emporte Abba Makama, réalisateur de Green White Green, film "mosaïque de la folie nigériane", et l'un des premiers de cette petite vague réaliste qui est en train de souffler sur la scène culturelle du géant africain.
Son film a été présenté dans une vingtaine de festivals à travers le monde, dont celui de Toronto, et est disponible sur Netflix. Green White Green a connu un grand succès, et pourtant, lui non plus n'a jamais été montré sur un écran au Nigeria.
"Dans les années 2000, nous avions vingt cinémas seulement dans tout le pays", peste le réalisateur. "Maintenant, nous avons plein de canaux de diffusions: davantage de cinémas, des chaînes cablées, YouTube, des abonnements en streaming,... Et pourtant, tous les films sont quasiment les mêmes. Nous avons besoin d'un distributeur pour la scène alternative."
Ema Edosio, elle, en est convaincue: le public existe pour de tels films réalistes, il faut seulement réussir à le prouver aux distributeurs.
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