Entendu jeudi par les trois juges chargés de cette enquête hors-norme, Lafarge SA (LSA), holding actionnaire majoritaire de la filiale syrienne Lafarge Cement Syria mise en cause, est également poursuivi pour "financement d'une entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie" des anciens salariés de l'usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.
Cette mise en examen est "conforme" aux réquisitions du parquet de Paris, a précisé la source judiciaire. Lafarge SA est soumis à un contrôle judiciaire comportant une caution fixée à 30 millions d'euros.
Après huit mises en examen ces derniers mois de cadres et dirigeants - dont l'ancien PDG de Lafarge de 2007 à 2015, Bruno Lafont - pour financement d'une entreprise terroriste et/ou mise en danger de la vie d'autrui, c'était au tour de Lafarge SA de s'expliquer devant les deux juges financiers, Charlotte Bilger et Renaud Van Rymbeke, cosaisis du dossier avec le juge antiterroriste David de Pas.
Initialement programmée le 5 juin, cette audition avait été reportée in extremis à la demande de Lafarge SA, faute de pouvoir y envoyer son ancien PDG Saad Sebbar, nommé en 2017, qui avait démissionné depuis peu après avoir reçu la convocation. Un nouveau représentant a depuis été désigné pour assister l'entreprise jeudi au côté des avocats de LSA, Christophe Ingrain et Antonin Lévy.
Le groupe, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim, est soupçonné d'avoir versé au total via sa filiale LCS près de 13 millions d'euros entre 2011 et 2015 pour maintenir son usine de Jalabiya alors que le pays s'enfonçait dans la guerre.
Ces sommes, qui ont bénéficié en partie à des groupes armés dont l'organisation jihadiste État islamique, correspondaient au versement d'"une taxe" pour la libre circulation des salariés et des marchandises, et à des achats de matières premières dont du pétrole à des fournisseurs proches de l'EI, d'après l'enquête.
A ces canaux de financement, s'ajoutent désormais des soupçons sur la possible vente de ciment au groupe EI, mis en lumière dans de récentes investigations, selon une source proche du dossier.
"Lafarge a sacrifié ses salariés et pactisé avec des entités terroristes en toute connaissance de cause: cette mise en examen pour complicité de crimes contre l'humanité était inéluctable", a déclaré à l'AFP Marie Dosé, avocate de l'ONG Sherpa, partie civile, qui avait déposé plainte contre le cimentier en novembre 2016 avec onze anciens salariés, en visant notamment ce chef d'accusation.
La "décision historique" prise jeudi "doit décider Lafarge à prendre ses responsabilités et à ouvrir un fonds d'indemnisation indépendant afin que les victimes voient leur préjudice rapidement réparé", a réagi Sherpa dans un communiqué.
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