Ces élections marquent en effet le passage d'un système parlementaire à une hyper-présidence sous laquelle le chef de l'Etat détiendra l'ensemble du pouvoir exécutif et pourra gouverner par décrets afin de contourner le Parlement.
"Fort de sa nouvelle légitimité politique, Erdogan va enfin instaurer le régime présidentiel et s'engager dans une politique d'affirmation de soi sur le plan national et international", estime Jana Jabbour, docteure associée au CERI/Sciences Po.
Les élections de dimanche se tenaient un peu plus d'un an seulement après le référendum d'avril 2017 au cours duquel ce changement de système voulu par le chef de l'Etat a été adopté.
M. Erdogan était en campagne quasi-permanente depuis deux ans, d'abord militant pour la victoire du +oui+ au référendum, puis pour les élections, initialement prévues en novembre 2019.
Durant cette période, le chef de l'Etat a mené une politique implacable contre ses opposants dans le cadre des purges menées après le putsch manqué de juillet 2016, suivi d'une répression tous azimuts qui a fortement tendu ses relations avec l'Occident.
Cette situation avait conduit, en amont du référendum, à une grave crise avec l'Union européenne, qui multipliait les critiques contre des atteintes aux libertés individuelles, provoquant de vives réactions de M. Erdogan.
Selon des analystes, le chef de l'Etat a notamment joué de ces tensions pour flatter la fibre nationaliste de l'électorat.
"Redevable"
La victoire acquise, M. Erdogan pourrait être tenté par une politique de détente pour apaiser une société très divisée, mais une telle ouverture risque de se heurter à l'opposition de ses alliés ultranationalistes du MHP, partisans d'une ligne dure notamment sur le dossier kurde.
Selon les résultats provisoires des législatives, le parti de M. Erdogan, l'AKP, a obtenu 295 sièges sur 600 au parlement et ne peut avoir de majorité sans son alliance avec le MHP, qui a créé la surprise en faisant élire 49 députés.
"Parce qu'il est redevable au MHP au parlement, il sera difficile pour (Erdogan) de passer en force, d'améliorer la liberté d'expression ou d'assouplir sa position sur la question kurde", estime Asli Aydintasbas, experte au Conseil européen des relations internationales.
"Je pense (qu'aller dans ce sens) sera hors de question du fait de ces résultats", poursuit-elle.
Craignant un clivage supplémentaire de la société, le principal rival du chef de l'Etat sortant à la présidentielle, Muharrem Ince (CHP, social-démocrate) a appelé M. Erdogan à être "le président de 81 millions de Turcs".
Mme Jabbour se montre elle aussi pessimiste sur la question: "La question kurde sera traitée d'une main de fer et de nouvelles opérations militaires contre les Kurdes en Syrie et en Irak sont à prévoir".
Selon elle, les purges prendront une "nouvelle ampleur". "Le système judiciaire sera contrôlé par Erdogan, les libertés civiles et individuelles seront limitées", ajoute-t-elle.
Au cours de la campagne, poussé par les promesses de ses concurrents, M. Erdogan avait promis en cas de victoire de lever l'état d'urgence en vigueur depuis le putsch manqué.
Mais "il ne l'a mentionné qu'une fois", tempère Mme Aydintasbas, qui doute qu'il tienne sa promesse, même si "ce serait un immense soulagement pour les prisonniers politiques".
"Tout-puissant"
Sur le plan international, le ton s'était déjà nettement adouci depuis le début de l'année, M. Erdogan montrant des signes d'apaisement avec l'UE.
"Erdogan a désormais le pouvoir de normaliser (ses relations avec l'Occident) s'il le souhaite", estime Mme Aydintasbas, se demandant toutefois s'il sera "assez souple" pour se lancer dans ce processus.
"Je pense qu'il y aura une tendance de la part des gouvernements occidentaux de lui accorder un nouveau crédit et de reconstruire les relations avec la Turquie maintenant qu'il semble tout-puissant", ajoute-t-elle.
Mais là aussi, l'alliance avec le MHP pourrait compliquer la situation.
"Le nouvel alignement, avec le (...) MHP, qui fait figure de sauveur d'Erdogan, va créer des problèmes avec les Etats-Unis" au sujet des milices kurdes syriennes alliées de Washington en Syrie, mais considérées comme terroristes par Ankara, explique Soner Cagaptay, chercheur au Washington Institute of Near East Policy.
"M. Erdogan aura encore moins de marge de manoeuvre sur ces questions qu'avant", ajoute-t-il. "Au moins à court terme".
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