Eduardo Vela, 85 ans, ex-obstétricien à la clinique San Ramon de Madrid, est accusé par Inès Madrigal, employée des chemins de fer de 49 ans, de l'avoir séparée de sa mère biologique et d'avoir falsifié son acte de naissance, en juin 1969.
Ce médecin, dénoncé depuis longtemps par la presse et des associations, est le premier à devoir s'asseoir sur le banc des accusés, grâce au témoignage de la mère d'Inès Madrigal, Inès Pérez, décédée depuis.
Cette dernière, qui ne pouvait pas avoir d'enfant, a raconté que le docteur Vela lui avait proposé un bébé. Il lui avait demandé de simuler une grossesse puis l'avait déclarée comme la mère biologique du nouveau-né.
Devant le juge d'instruction, il avait reconnu en 2013 avoir signé "sans regarder" le dossier médical qui indique qu'il a assisté à l'accouchement.
"Je suis inscrite comme fille d'une femme stérile qui n'a jamais accouché", résume Inès Madrigal.
"Impunité"
Des cas comme celui-ci pourraient se compter par dizaines, voire centaines de milliers, selon les associations militant depuis 2010 pour que la lumière soit faite sur ce trafic qui a commencé sous la dictature de Francisco Franco (1939-1975), souvent avec la complicité de l'Eglise catholique.
Les enfants étaient retirés à leurs parents après l'accouchement, déclarés morts sans que l'on en leur fournisse la preuve et adoptés par des couples stériles, de préférence proches du régime "national-catholique".
Comme Cristina Moracha, à qui le personnel d'une maternité de Madrid a dit, quelques jours après qu'elle avait accouché en mai 1984, que son bébé était mort, sans lui en montrer le corps ni la sépulture.
"On m'a dit d'arrêter de pleurer, que j'avais déjà une fille de 15 mois qui avait besoin de moi, que j'étais jeune et que j'aurais d'autres enfants", raconte-t-elle à l'AFP.
"Tu devrais être contente que Dieu ait choisi ton bébé pour l'emporter", lui a même dit une religieuse.
Après la guerre civile (1936-1939), l'objectif était de punir les opposantes accusées de transmettre le "gène rouge" du marxisme, affirme Soledad Luque, présidente de l'association "Tous les enfants volés sont aussi mes enfants".
Puis ce sont les enfants nés hors mariage, ou dans les familles pauvres ou très nombreuses, qui ont été davantage visés à partir des années 1950.
Le trafic a perduré en démocratie, au moins jusqu'en 1987, pour des motifs "presque purement économiques", poursuit-elle.
Mais malgré l'ampleur du scandale, dénoncé pour la première fois dans la presse en 1982, aucune des plus de 2.000 plaintes déposées selon les associations n'a abouti.
"Ce qui unit les trois époques, c'est le mot impunité", affirme Soledad Luque, dont la plainte visant à retrouver son frère jumeau a été classée.
Espoirs et résignation
C'est le fait d'avoir permis la tenue de ce procès pionnier qui pousse Inès Madrigal à continuer, avec l'espoir que la décision fasse jurisprudence, pour "que ça ne me serve pas qu'à moi mais à tant d'autres qui attendent derrière moi".
Mais après tant d'années, la résignation guette les familles.
Les protagonistes disparaissent au fil des années, comme la religieuse Maria Gomez Valbuena, souvent dépeinte comme la tête du trafic à Madrid, et morte avant d'être jugée.
Eduardo Vela, "il lui suffirait d'invoquer son droit à garder le silence, et ce serait fini", lâche, dépitée, Cristina Moracha.
Interviewé par la BBC en 2011, le médecin avait déclaré en brandissant un crucifix: "J'ai toujours agi en son nom. Toujours pour le bien de l'enfant et pour protéger les mères".
"Je sais parfaitement qu'on ne va pas l'obliger à déclarer ce que je veux qu'il déclare, c'est-à-dire (...) où est allé chaque bébé, et parmi eux, mes frères", disparus dans les années 1960 à la clinique San Ramon, dit une femme qui refuse de donner son nom.
Elle justifie sa demande d'anonymat par ce qui est arrivé à Ascension Lopez, condamnée pour calomnie pour avoir accusé une religieuse d'avoir orchestré son adoption.
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