La question, explosive, a émergé début juin, dans un document destiné aux partenaires sociaux: "Doit-on maintenir des pensions de réversion (...) avec quels objectifs et sur quels critères"? Chargé d'une grande concertation, avant l'instauration du futur "système universel de retraite" promis par Emmanuel Macron, pour remplacer la quarantaine de régimes existants, le Haut commissaire Jean-Paul Delevoye voulait alors poser "toutes les questions", sans tabou.
Mais syndicats et politiques sont rapidement montés au créneau.
Car la réversion, qui permet aux veufs de toucher une partie de la retraite de leur conjoint décédé, concerne aujourd'hui 4,4 millions de personnes, dont 89% de femmes. Un million de bénéficiaires n'ont d'ailleurs aucune pension de droit "propre".
Carrières plus courtes que les hommes ou interrompues, écarts salariaux, temps partiel: les inégalités de la vie professionnelle persistent à la retraite. Les pensions des femmes "restent inférieures de 40% à celles des hommes", selon le Haut commissariat à la réforme des retraites. La réversion permet alors de "compenser" cet écart, le réduisant à 25%.
Elle est donc pour beaucoup de retraitées "la seule bouée de secours", selon Pascale Coton (CFTC). Idée "scandaleuse", "plan infâme": jeudi, plusieurs personnalités politiques, de la gauche radicale à la droite de la droite, se sont aussi émues du sort réservé à ce dispositif, le patron de LFI Jean-Luc Mélenchon craignant "une harmonisation par le bas", voire une "suppression progressive".
Risque d'exclusion d'une partie des retraités
L'objectif n'est "pas du tout" de les supprimer, a promis la ministre des Solidarités Agnès Buzyn. Mais les conditions d'attribution et de calcul, "très différentes" selon les régimes, créent des "injustices", et doivent être "harmonisées", selon elle.
En effet, les retraités ne sont pas tous logés à la même enseigne. Le montant des pensions, par exemple, varie de 50% de la pension du défunt, pour les fonctionnaires, à 54% pour la retraite de base des salariés du privé, des agriculteurs ou des artisans, ou 60% pour la plupart des régimes complémentaires.
L'attribution se fait pour certains "sous conditions de ressources". Les anciens salariés du privé ne doivent pas toucher plus de 1.712,53 euros par mois pour toucher la pension de réversion de base, comme la plupart des professions libérales. Les fonctionnaires, ou avocats n'y sont en revanche pas soumis.
De même, certains régimes incluent une condition d'âge minimum: 55 ans la plupart du temps, et jusqu'à 65 ans pour certaines professions libérales. Sans oublier des conditions de durée de mariage minimum ou de non-remariage dans certains cas, par exemple dans le secteur public.
Mais pour Philippe Pihet (Force ouvrière), l'harmonisation voulue par le gouvernement, qui entend "faire des milliards d'économies", risque de se faire "par le bas", avec "beaucoup de perdants, et surtout de perdantes". Avec 35,8 milliards d'euros versés en 2013, les réversions représentaient 12% des dépenses de retraite.
"Le risque majeur, c'est la mise sous conditions de ressources. Seuls les conjoints qui n'auront pratiquement pas eu d'activité auront droit à quelque chose", et "on exclura discrètement toute une partie de la population", juge-t-il.
De plus, il n'y aura "sans doute plus de régimes complémentaires, mais un seul système". Les survivants des salariés du privé cotisant à l'Agirc-Arrco "vont donc y perdre", estime le représentant syndical. Pascale Coton reconnaît qu'une harmonisation est nécessaire, mais "il faudra faire attention à ce que toutes les retraitées puissent vivre dignement".
La CGT, elle, réclame une réversion "à 75% pour tous les régimes sans condition d'âge ou de revenu". Mais "pour le moment, si vous avez vécu quarante ans ensemble sans être marié, vous n'en bénéficiez pas", a regretté Laurent Berger (CFDT) vendredi sur LCI. Pour lui, le système n'est pas "immuable" mais il faut "prendre le temps du débat".
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