En larmes, à genoux ou agitant le drapeau blanc et bleu du pays d'Amérique centrale, les habitants ont lancé à la délégation de l'Eglise, conduite par l'archevêque de Managua, le cardinal Leopoldo Brenes: "Nous voulons la paix! Nous voulons la justice!".
En deux mois, la vague de contestation, pour exiger le départ du président Daniel Ortega et de sa femme Rosario Murillo, vice-présidente, a fait 187 morts et plus de 1.000 blessés, selon le Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh).
Le cardinal, accompagné du clergé du diocèse de Managua, a traversé les rues étroites de la ville de 100.000 habitants, située à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale et devenue l'épicentre des protestations, en brandissant une image de Jésus et suivi d'une foule de riverains.
Des centaines d'entre eux ont aidé à lever les barricades pour permettre aux évêques d'entrer, au son des cantiques, dans le quartier indigène de Monimbo, foyer de résistance visé par les forces progouvernementales.
Avec émotion, l'évêque auxiliaire de Managua, Mgr Silvio Baez, l'une des voix les plus critiques envers le gouvernement, a invité la population à ne pas chercher à faire justice elle-même et lancé un appel "aux francs-tireurs, à Daniel Ortega et Rosario Murillo: pas un mort de plus".
"Que Daniel s'en aille"
Mais pendant ce temps, des tirs d'armes à feu et de mortiers artisanaux résonnaient encore dans la ville, a constaté une équipe de l'AFP. Des riverains ont dénoncé que des agents anti-émeutes et des groupes paramilitaires avaient incendié des maisons.
"Nos frères sont en train de mourir. Si nous avions des armes, ce serait armes contre armes, mais là c'est très inégal. Aidez-nous face à ces assassins qui tuent notre peuple", a imploré à l'AFP un habitant de Monimbo, refusant de s'identifier.
"Nous ne supportons pas cette répression, nous voulons un pays libre. Que Daniel s'en aille, on ne veut plus de dictature", a renchéri Yanet Lopez, femme au foyer de ans.
Alors que l'Eglise avait l'espoir de voir repartir le dialogue, suspendu depuis lundi, l'annonce de cette offensive, qualifiée de "disproportionnée" par le secrétaire de l'Association nicaraguayenne (pour les) droits de l'homme (ANPD), Alvaro Leiva, a ravivé les craintes de violences.
"C'est incohérent de parler de dialogue et d'être en train d'assassiner le peuple à tour de bras", a dénoncé M. Leiva.
Inquiète, l'Eglise a dit envoyer ses évêques sur place "pour éviter un nouveau massacre, consoler et prier avec notre peuple".
A Masaya, les violences ont provoqué ces derniers jours au moins 23 morts, ainsi que des pillages et incendies.
Jeudi, les habitants restaient enfermés chez eux pendant que des agents anti-émeutes et des hommes encagoulés et armés parcouraient les rues en tirant et en enlevant les barricades érigées par les riverains, selon des images diffusées par la télévision.
Dialogue suspendu
Ailleurs dans le pays, d'autres offensives ont été signalées: les cloches des églises ont sonné dans la nuit dans plusieurs villes comme Diriamba (ouest), pour alerter de la présence d'hommes armés tentant de démonter les barricades.
Suspendu depuis lundi, le dialogue entre gouvernement et opposition semblait pourtant sur le point de reprendre, alors que l'exécutif a finalement invité, comme il l'avait promis, des organismes internationaux comme l'Union européenne ou le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme à venir enquêter sur les violences commises.
L'Eglise appelle le président Ortega - un ex-guérillero de 72 ans au pouvoir depuis 2007 après l'avoir déjà été de 1979 à 1990 - à permettre l'organisation d'élections générales anticipées en mars 2019 (au lieu de fin 2021). Ce dernier reste muet sur ce point.
La vague de contestation, engagée pour dénoncer une réforme de la sécurité sociale qui a depuis été abandonnée, cible le chef de l'Etat et son épouse, accusés de confisquer le pouvoir et de brider les libertés.
"Le peuple ne se rend pas", "Dehors Ortega", "Non à la dictature orteguiste", pouvait-on lire jeudi sur les murs de Masaya.
Le couple Ortega-Murillo accuse les rebelles d'être des "délinquants" et "vandales", coupables de "terrorisme": "Nous allons vaincre le mal, la perversité, l'ignominie et l'abomination", a lancé Rosario Murillo, surnommée "La sorcière" par ses détracteurs.
Le département d'Etat américain a appelé à organiser des élections anticipées et dénoncé la répression par les forces de l'ordre, de même que l'ONU, le Parlement européen ou encore Amnesty international.
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