"Lorsque je parle avec les parents, ils ont le regard fixé dans le vide parce qu'ils ne peuvent tout simplement pas comprendre, ils ne peuvent accepter, ils ne peuvent croire qu'ils ignorent où se trouvent leurs enfants et que le gouvernement américain les leur a retirés", explique à l'AFP Jodi Goodwin, avocate spécialisée dans l'immigration au Texas.
"C'est incroyablement poignant et un mépris épouvantable des procédures", poursuit cette avocate du Centre des migrations pour les droits humains qui travaille bénévolement à la frontière depuis 1995.
Plus de 2.300 enfants ont été séparés de leurs parents entre le 5 mai et le 9 juin, selon les chiffres du gouvernement fédéral américain.
Ils ont été placés dans des centres par les garde-frontières américains après la décision de Donald Trump en avril d'appliquer une politique de "tolérance zéro" en matière d'immigration pour tenter de dissuader les candidats à l'exil aux Etats-Unis.
Mais la violente polémique qui a suivi la révélation de ces chiffres et les images de jeunes enfants, y compris des bébés, en pleurs dans des enclos grillagés a contraint le milliardaire républicain à rétropédaler mercredi par le biais d'un décret mettant fin aux séparations systématiques.
La crise humanitaire qui sévit depuis plusieurs semaines est pourtant loin d'être achevée. D'autant que si le dossier des parents n'est pas réglé dans les 72 heures, les enfants sont envoyés dans des centres du ministère de la Santé parfois jusqu'à New York, à des milliers de kilomètres de la frontière.
Difficile à retracer
"Le seul fait qu'il soit si difficile de suivre à la trace où se trouvent les parents et où se trouvent les enfants" empêche une résolution du problème du jour au lendemain, relève Mme Goodwin, citant l'exemple de six demandeurs d'asile ayant perdu la trace de leurs enfants depuis des semaines.
D'après elle, l'organisme ayant pris en charge les enfants ne dispose pas d'un système pour se synchroniser avec les autorités migratoires qui détiennent les parents et assurer ainsi une fluidité des informations.
"Le système est très désorganisé, chaotique", décrit l'avocate. "Tout le monde agit dans l'urgence pour tenter d'éteindre un incendie et que les choses continuent bon an, mal an à fonctionner".
Reste que les avocats rappellent que la séparation familiale à la frontière existe depuis plusieurs années, mais elle a pris une telle ampleur ces dernières semaines avec une application systématique.
Ils ont accueilli sans grand enthousiasme le décret de M. Trump car, selon eux, il ne fait qu'allumer un autre incendie en n'éliminant pas la détention arbitraire ni la détention des enfants.
"Séparer les enfants de leurs parents est atroce et révoltant, mais les placer en détention avec eux est aussi atroce et révoltant même s'ils sont détenus avec leurs parents", estime Andrea Guttin, directrice juridique de l'ONG de défense des immigrés Houston Immigration Legal Services Collaborative.
Elle ajoute que le décret ne mettra pas un terme à la séparation de grands-parents arrivés avec leurs petits-enfants, de fratries non accompagnées d'un adulte ou d'oncles venus avec leurs neveux, par exemple.
Un avis partagé par Barbara Hines, ancienne professeure de droit de l'université du Texas: "Je ne pense pas que le décret de Trump soit une solution à la crise que lui et le ministre de la Justice Jeff Sessions ont créée".
Elle dénonce également le traitement comme des criminels des demandeurs d'asile par les agents de protection de la frontière, les plaçant en détention et les séparant de leurs enfants en violation de la législation américaine et du droit international.
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