"On s'est installés avec enthousiasme", raconte Thomas Le Glatin, 32 ans, devant son amas d'abeilles mortes et cadres de miel putréfiés. Installé en 2017 à Ploërdut (Morbihan), le producteur de miel bio avait 180 ruches. "J'en ai perdu 150 à la sortie de l'hiver".
"J'avais prévu de renouveler 30% de mon cheptel chaque année", explique-t-il. Des pertes "logiques" dues à la météo ou à certains parasites, explique Claire Prieur, sa compagne. Mais le couple d'apiculteurs accuse le coup après la découverte de colonies entières mortes.
"On s'est questionnés sur notre méthode de travail, on a contacté des professionnels en Bretagne et le constat était le même", déclare l'apicultrice qui gère également une chambre d'hôtes afin d'assurer un revenu.
Pour faire entendre sa voix, elle a intégré cet hiver le "Collectif pour la survie de l'abeille". Des apiculteurs venus de Dordogne, de l'Ain, de Normandie mais aussi de Belgique ou d'Allemagne témoignent de la disparition de leurs ruches et organisent des "convois mortuaires" sur toute la France pour alerter les autorités et l'opinion publique sur la fragilité de la filière.
En France, la production de miel a été divisée par trois, à un peu plus de 10.000 tonnes par an et le nombre d'apiculteurs - amateurs et professionnels confondus - était de 85.000 en 1995, contre 70.000 (dont 2.000 professionnels) en 2017.
"Il nous manque un recensement exhaustif des pertes," estime Claire Prieur. Livrés à eux-mêmes, ils n'ont reçu "aucune consigne sanitaire" sur le devenir de leur ruche morte.
"On a pris la décision de tout cramer sur notre terrain car la déchetterie n'en voulait pas, ça moisissait et des papillons s'installaient avec le risque de contaminer les ruches vivantes", justifie Thomas, ancien urbaniste qui s'inscrit dans une démarche d'agriculture responsable.
"Le monde à l'envers"
Le couple d'apiculteurs a entamé des démarches pour obtenir d'éventuelles compensations mais n'a pu faire analyser leurs ruches, "on s'y est pris trop tard et c'est trop cher".
"Ce qui est terrible, déjà qu'on subit un traumatisme avec nos abeilles mortes, c'est du vivant, c'est pas des objets qui sont partis, et on vous dit +c'est à vous de le prouver+, c'est le monde à l'envers", s'insurge Claire.
"C'est à notre ministre de tutelle de structurer la filière et nous aider en cas de coup dur. Je ne suis pas sûre que s'il y avait eu 200 vaches mortes dans une exploitations on aurait pris les choses à la légère comme on le fait pour nous".
"Si le ministère fait des analyses, il va se rendre compte que cela met en porte-à-faux le système agricole mis en place depuis des années", juge la jeune femme. "On veut une politique durable. Nous les apiculteurs, nous sommes des gens discrets, on ne sait pas gueuler, nous n'avons pas le même impact que certains agriculteurs et lobbies", estime cette mère de deux enfants.
Les principales menaces qui pèsent autour des abeilles sont les néonicotinoïdes. Ce sont des insecticides utilisés pour enrober des semences, qui s'attaquent au système nerveux des insectes, désorientent et affaiblissent les abeilles et autres pollinisateurs.
En ce sens, le tribunal de l'Union européenne a confirmé le 17 mai les restrictions d'utilisation imposées en 2013 à trois néonicotinoïdes sur sept -clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride- à toutes les cultures en plein champ et non plus seulement aux cultures sous serre.
Une première victoire jugée insuffisante par la profession. "Il va falloir un arrêt des pesticides, acté noir sur blanc", assure Thomas.
Pour l'heure, "il n'y a pas de solution immédiate, on va continuer à informer, on n'est pas défaitistes", assure Claire. "Il va bien falloir préparer notre hiver car ça risque d'être un autre hiver terrible".
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