"Le truc que je trouve le plus jubilatoire, c'est le constat qu'on peut produire beaucoup, sans pétrole, et régénérer l'environnement rapidement. Ici c'était un pré tout nu avec une terre de mauvaise qualité. Maintenant c'est plein d'oiseaux", s'enthousiasme Charles Hervé-Gruyer, un ancien navigateur qui a créé la ferme en 2006 avec sa femme Perrine, ex-juriste pour une multinationale.
Ils ont vendu ensuite 40.000 exemplaires de leur livre "Permaculture, guérir la terre, nourrir les hommes" (Actes Sud) en France, aux États-Unis, en Chine, en Grèce, en Amérique latine, aux Pays-bas. Et un manuel de 800 pages est prévu début 2019 chez le même éditeur.
Entretemps, ces néoruraux ont beaucoup lu les pères fondateurs anglosaxons de la permaculture, cet "art de s'inspirer de la nature". Charles Hervé-Gruyer, 60 ans, a puisé dans ses souvenirs de voyages auprès de peuples premiers et son épouse, 44 ans, dans ses années en Asie.
"On a synthétisé des techniques et après beaucoup beaucoup d'années de dur labeur, on est arrivé à des niveaux de production qui semblaient impensables sans tracteurs", explique ce père de quatre filles, persuadé qu'avec "la fin du pétrole" les microagriculteurs vont se multiplier considérablement.
D'après une étude AgroParistech/Inra, sur 1.000 m2 de culture intensive au cœur de cet espace de 20 hectares, "la microferme apparaît comme un modèle économique réaliste pour l'installation de porteurs de projets sans assise foncière et disposant d'une capacité d'investissement limitée".
"Small is beautiful"
La recette passe par une culture très dense où les légumes poussent presque imbriqués les uns dans les autres, sur des buttes de terres (comme le faisaient les Chinois il y a 4.000 ans) enrichies, par exemple de terra preta, du biocharbon, une idée venue d'Amazonie.
La production repose sur une mosaïque d'espaces interdépendants. Les mares font office de tampon thermique, accentuant le rayonnement solaire sur le potager, les légumes montés en graine servent à pailler et donc maintenir l'humidité dans le sol, les déjections des animaux sont utilisées comme fertilisants. Le verger protège les cultures du vent.
"Ça exige un niveau de savoir-faire technique considérable. Et de savoir vendre ses produits. Mais ce n'est pas non plus impossible", assure François Léger, enseignant-chercheur et auteur de l'étude AgroParistech/Inra.
En dépit de l'ampleur de la tâche et des revenus modestes en perspective --l'étude évoque des revenus de 900 à 1.570 euros par mois pour 43 heures de travail par semaine--, ils sont nombreux à venir au Bec Hellouin pour se former, avec la volonté de "faire de l'utile, du beau, de l'écologique", sans passer pour des "délurés".
Ce jeudi de printemps, ils sont une cinquantaine de stagiaires. "Les rendements, ce n'est pas la quête première. La volonté première, c'est de redonner du sens à une vie", explique Thierry Pégard, 40 ans, qui a travaillé 15 ans dans la finance avant de devenir paysagiste il y a trois ans et de lancer cette année sa ferme en région parisienne. Il croule aujourd'hui sous les demandes, de la part de restaurants notamment.
"On a des résultats que je n'avais pas quand j'étais dans la finance, enfermé dans les bureaux. Il fallait faire du chiffre mais on ne savait pas trop pourquoi. Là on sème; trois mois après, on a une récolte et des clients qui sont contents", poursuit l'ex-responsable financier.
Consultants indépendants en environnement, Betania et Frédéric Airaud ont quitté l'Afrique avec leurs enfants pour acheter un terrain au Portugal. Ce couple de biologistes franco-portugais de 39 et 40 ans est venu se former au Bec Hellouin, "stimulé" par l'idée de lancer une ferme "productive" et bio dans un pays où le bio "n'est pas très développé".
M. Léger estime à plusieurs milliers le nombre de fermes basées en France sur le "small is beautiful", peu mécanisées et avec un souci écologique, avec une "grosse accélération depuis 2010". Mais il n'a pas de chiffre sur le taux d'échec.
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