Au côté de la personne morale France Telecom, devenue Orange, et de son ancien patron Didier Lombard, les juges d'instruction ont renvoyé six autres dirigeants et cadres devant le tribunal correctionnel de Paris, conformément aux réquisitions du parquet de Paris, selon leur ordonnance du 12 juin consultée par l'AFP.
Louis-Pierre Wenes, ex-numéro 2, et Olivier Barberot, ex-responsable des ressources humaines, sont renvoyés pour "harcèlement moral" tandis que quatre cadres le sont pour "complicité" de ce délit. Les juges ont retenu à l'encontre de ces derniers leur participation comme "complices" à la politique du groupe, même en "l'absence de lien hiérarchique avec certains" des salariés, un point contesté par deux d'entre eux lors de l'instruction.
"Incitations répétées au départ", mobilités "forcées", missions "dévalorisantes", "isolement": dans leur ordonnance de plus de 650 pages, les juges ont retenu une longue liste de pratiques "répétées" qui ont forgé selon eux, "une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés" et "à créer un climat professionnel anxiogène".
Frappée par une épidémie de suicides en 2008 et 2009, France Telecom a été la première entreprise du CAC 40 mise en examen pour harcèlement moral, un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende. Pour la première fois, la justice aura à trancher une affaire de harcèlement moral d'une telle ampleur au sein d'une entreprise de cette taille, neuf ans après les premières plaintes.
Sollicité par l'AFP, Me Jean Veil, l'avocat de Didier Lombard, n'a pas souhaité faire de commentaires.
Dans un communiqué, le syndicat CFE-CGC, partie civile, "se félicite de cette décision" mais "regrette cependant que le chef d'homicide involontaire n'ait pas été retenu" par les juges.
"La responsabilité morale des sept prévenus dans la crise sociale et ses conséquences les plus tragiques, les suicides de nos collègues, est avérée", a-t-il souligné.
"Par la fenêtre ou par la porte"
Le suicide en juillet 2009 d'un technicien marseillais, qui avait évoqué un "management par la terreur", avait donné un énorme retentissement à l'affaire, renforcé par plusieurs actes similaires et la première plainte en septembre 2009 du syndicat Sud-PTT, suivie d'autres, et d'un rapport de l'inspection du travail.
L'enquête confiée à des juges en avril 2010 a examiné les cas de trente-neuf salariés: dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail. Selon les syndicats et la direction, 35 salariés s'étaient donné la mort en 2008 et 2009.
A l'époque engagé dans le délicat virage de la privatisation et des nouvelles technologies, le groupe, ancien fleuron du service public, voulait supprimer 22.000 postes entre 2006 et 2008 et procéder à 10.000 changements de métier, dans le cadre de son plan de réorganisation "NEXT", dont le volet concernant le personnel, intitulé ACT, était considéré comme un "plan social déguisé" selon les juges.
Devant les enquêteurs, l'entreprise et plusieurs cadres et dirigeants ont nié l'existence d'objectifs de réduction d'effectifs, avançant de simples "estimations" tandis que d'autres ont présenté la restructuration comme une opération de sauvetage.
Mais pour la justice, témoignages et documents internes montrent au contraire que les objectifs de mobilité et de réduction de la masse salariale étaient devenus une fin en soi, quels que fussent les moyens pour y parvenir.
"Ce sera un peu plus dirigiste que par le passé (...) En 2007, je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte", avait lâché Didier Lombard en octobre 2006 devant l'association des cadres supérieurs et dirigeants de France Telecom (Acsed), bien avant le scandale, selon une retranscription révélée seulement en 2013.
"Il appartient désormais à la justice de se prononcer sur leur responsabilité pénale", a estimé le syndicat CFE-CGC. Le procès ne devrait toutefois pas être audiencé avant de longs mois d'autant que les non-lieux ordonnés par les juges concernant certains cas de salariés rendent possible un appel contre l'ordonnance.
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