Elles sont vêtues d'une ample blouse orange, comme leurs collègues masculins, et une capuche leur cache en partie le visage. Une version pimpante de la burqa traditionnelle - le grillage du regard en moins - qui tranche avec le vert des pelouses.
Six jours par semaine, les jardinières de Jalalabad s'activent ainsi entre haies de roses et d'arbres fruitiers. Leur salaire, 130 dollars mensuels environ, est généralement le premier qu'elles aient jamais gagné.
"Les hommes pensent que les femmes ne peuvent travailler qu'à la maison. Mais nous montrons ici à chacun qu'elles peuvent faire bien plus", affirme, volontaire, la cheffe d'équipe Laluma Shezad, 26 ans, qui ne laisse voir que ses yeux.
Employer des femmes ne relevait pas de l'évidence dans le Nangarhar, dans l'extrême est du pays (frontalier du Pakistan) qui accueillit Oussama Ben Laden dans les grottes de Tora Bora dans les années 2000, et où le groupe Etat islamique a depuis fait son nid, concurrençant les talibans.
L'agence des Nations unies ONU-Habitat, à l'origine de l'initiative, a dû âprement négocier avec les familles.
"Pour la plupart des femmes, c'est la première expérience de travail hors du domicile", affirme Mohammad Nader Sargand, responsable du programme "Clean and Green Cities" d'ONU-Habitat à Jalalabad.
La culture pachtoune, l'ethnie dominante de l'est afghan, "est bien plus restrictive que l'Islam", commente-t-il. Les femmes "ne sont pas censées sortir sans leur mari, leur père ou un frère."
"Clean and green Cities", lancé en décembre 2016 dans les principales villes afghanes, entend créer, réhabiliter et entretenir les parcs urbains.
Bastions pachtounes
Quelque 8.000 apprentis-jardiniers ont été embauchés dans une douzaine de provinces, dont Kaboul. Parmi eux, un millier de femmes, choisies parmi les populations vulnérables, notamment les déplacés de guerre. Une centaine d'entre elles, âgées de 18 à 60 ans, sont actives à Jalalabad.
Selon la Banque mondiale, 19% des femmes afghanes avaient un emploi officiel en 2017, hors secteur agricole.
"C'est ici et à Kandahar (Sud) que c'est le plus difficile", confie Mohammad Nader Sargand. Deux bastions pachtounes et conservateurs.
Dans une étude de l'Asia Foundation en mai 2017, seuls 66% des Afghans pachtounes interrogés acceptaient l'idée que les femmes travaillent hors du domicile (contre 74% en moyenne nationale) et moins d'un tiers (32,7%) approuvaient l'égalité des genres.
"Le principal souci était pour les hommes de s'assurer que les femmes ne seraient pas en contact avec des hommes extérieurs à la famille", précise M. Sargand. "La première semaine, frères et maris venaient sans cesse vérifier que leur vertu et leur dignité étaient préservées."
Dans une ville où les rares femmes visibles en public portent la burqa, à l'exception des vieillardes et des fillettes, les recrues féminines s'activent donc à l'écart, à l'exception du chef jardinier qui les encadre.
"Difficile, pas impossible"
La plupart sont des veuves sans formation, que la disparition des conjoints a laissées dans un dénuement absolu. Comme Najiba, "40 ou 45 ans" - l'état-civil est peu regardant sur les dates de naissance - qui s'avance serpette en main dans le jardin de Bibi Saira.
"Il y a des gens qui disent qu'on ne devrait pas travailler avec des hommes étrangers mais moi, je suis ravie", rit-elle en se frappant la poitrine du pouce. "J'adore venir ici et j'espère que mes filles pourront venir elles aussi."
Déléguée par le ministère des Femmes, Torpaikay - elle n'a pas d'autre nom - explique que ces femmes suivaient déjà des ateliers organisés par l'ONU. "Mais c'est la première fois qu'on leur donne une chance de travailler: c'est difficile, mais pas impossible."
"Les femmes afghanes sont solides. Elles peuvent travailler si on leur donne les mêmes possibilités (qu'aux hommes). Et elles le souhaitent", ajoute-t-elle.
Faute de financement, le programme de verdissement des villes afghanes est pourtant appelé à cesser en juin à Jalalabad et d'ici décembre ailleurs. Mais avec le soutien des municipalités, enthousiastes, ONU-Habitat espère convaincre la communauté internationale de remettre au pot.
Zalmay Akhehar, vénérable "community leader", est en tout cas aussi convaincu par le travail au féminin qu'il redoute les comportements masculins. "Ici, les femmes balaient les allées. Si on arrête, on aura des ordures partout."
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