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Après Singapour, le pari reste très risqué pour Trump

Si Donald Trump réussit son coup de poker sur le dossier nord-coréen, il le devra probablement à sa volonté de s'abstraire des usages diplomatiques, des avis d'experts et aussi des préventions morales.

Après Singapour, le pari reste très risqué pour Trump
Le leader nord-coréen Kim Jong Un (g) serre la main au président américain Donald Trump (d) avant le début du sommet historique à l'hôtel Capella, le 12 juin 2018 à Singapour - SAUL LOEB [AFP]

Seul un président comme Donald Trump pouvait décrire Kim Jong Un comme un dirigeant qui "aime son pays". Mais sans doute aussi seul un président non-conventionnel comme lui pouvait démarrer un processus de paix avec l'homme fort de Pyongyang.

Il y a moins d'un an, il promettait à Kim Jong Un "le feu et la colère" face à l'accélération des programmes balistique et nucléaire de la Corée du Nord.

La rencontre d'égal à égal, la poignée de mains historique de Singapour avec en toile de fond un alignement de drapeaux américains et nord-coréens ont offert à Kim un superbe coup de propagande.

Elle fournit aussi au dirigeant nord-coréen une légitimité alors que, selon le département d'Etat américain, entre 80.000 et 120.000 prisonniers politiques croupissent dans des camps de travail nord-coréens, à la merci de la torture et des privations.

Le dictateur est accusé d'avoir fait assassiner son propre frère en Malaisie et d'avoir renvoyé aux Etats-Unis l'an dernier le jeune étudiant Otto Warmbier alors qu'il était sur le point de mourir dans ses geôles.

Le pari de la Corée du Nord, dont les promesses passées de dénucléarisation sont toujours restées lettre morte, a donc déjà payé. Mais qu'en est-il pour Donald Trump? Le président des Etats-Unis dit qu'il croit dans la promesse du Nord-Coréen de s'engager vers l'abandon de ses armes et de ses ambitions nucléaires. Mais il reste prudent.

"J'ai peut-être tort. Je veux dire que je pourrais me tenir devant vous dans six mois et vous dire: +Eh, j'avais tort+", a-t-il reconnu.

Sommet "décevant"

A Washington, beaucoup voient une forme de naïveté du président américain dans ses efforts pour conduire Pyongyang sur la voie du désarmement.

La Brookings Institution, un prestigieux centre de réflexion, a publié les réactions de 13 des experts les plus reconnus aux Etats-Unis sur le nucléaire nord-coréen. Tous, à une seule exception, ont jugé "décevant" le résultat du sommet.

Ce scepticisme se nourrit en grande partie de l'absence dans le communiqué commun des deux dirigeants d'une référence à une dénucléarisation "vérifiable et irréversible", formule ressassée depuis des semaines par les Américains. Il s'appuie aussi sur l'annonce par M. Trump de l'arrêt des manoeuvres militaires américano-sud-coréennes, concession majeure à Kim Jong Un.

Le plus optimiste de ces analystes, Michael O'Hanlon, a estimé que le processus devait maintenant être confié au secrétaire d'Etat Mike Pompeo pour définir en détail le désarmement vérifiable auquel la Corée du Nord devrait se conformer.

"Nous ne pourrons vraiment évaluer ce qu'il s'est passé à Singapour que lorsque nous verrons si la Corée du Nord respecte un tel plan et commence sa mise en oeuvre vérifiable", a-t-il estimé.

Les partisans comme les critiques de Donald Trump considèrent qu'il faut maintenant revenir un style plus classique de négociations, avec des progrès concrets.

Certains font aussi remarquer qu'il fallait un président comme M. Trump pour détourner le regard des violations de droits de l'homme et briser la glace avec Kim Jong Un. Peut-être aussi que le milliardaire républicain n'avait guère d'autre choix que de se tourner vers la diplomatie, la Corée du Nord ayant montré l'efficacité de son programme nucléaire.

Kim Jong Un avait procédé l'an dernier à un essai de bombe à hydrogène et à des tests de missiles dont le but était de placer le territoire américain à portée de tir. L'administration Trump avait réagi par les menaces et une rhétorique belliqueuse tout en travaillant à l'ONU à l'application de sanctions très dures, avec l'aide de la Chine.

Les diplomates américains sont très fiers d'être parvenus à faire adopter ce régime de sanctions, même si Donald Trump a dit désormais renoncer à le qualifier "de pression maximale".

Le tournant de la diplomatie

Pour Stephen Pomper, ancien membre de l'équipe Obama qui travaille maintenant pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), M. Trump était l'homme qui pouvait passer de la menace à la diplomatie.

"Dans un sens, c'est une victoire parce, qu'il s'était lui-même mis dans une sorte d'impasse, une impasse dangereuse, et il a remis les Etats-Unis sur la voie d'un processus, puisque nous parlons maintenant aux Nord-Coréens", a-t-il dit à l'AFP.

"Personne dans le gouvernement américain ne voulait prendre la responsabilité d'un virage vers la diplomatie, parce que si la diplomatie ne fonctionne pas, personne ne veut en subir l'opprobre", a-t-il ajouté.

"Le président lui-même a encaissé le risque politique en disant qu'il était prêt à une telle rencontre (avec Kim), et il faut lui en donner crédit", a poursuivi l'expert.

Donald Trump aurait ainsi sorti l'Amérique d'un piège dans lequel il aurait contribué à l'entraîner. Et il aurait évité le risque d'une guerre nucléaire. Les diplomates et les experts en désarmement doivent désormais mettre en place un système crédible d'inspection et de vérification de la dénucléarisation de la Corée du Nord.

Si Kim Jong Un accepte des inspecteurs sur son sol, s'ils confirment qu'il a gelé son programme nucléaire, s'il déclare honnêtement la portée réelle de ses capacités, s'il accepte que le mot "dénucléarisation" signifie désarmement... Il y a encore beaucoup de conditions et d'obstacles au processus qui a été enclenché. Avant que Kim Jong Un accepte aussi le démantèlement des armes atomiques qu'il possède déjà.

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