"Ou tu t'en vas ou la dame part seule. On a besoin des terres !" Ce paysan de 53 ans n'a jamais oublié ce jour de 1994 où les milices d'extrême-droite l'ont menacé.
Avant le duel présidentiel de dimanche entre Ivan Duque, champion de la droite conservatrice et favori des sondages, et Gustavo Petro, candidat de la gauche anti-système, cet homme maigre aux cheveux gris se souvient des vaches, des cochons, des plantations de banane plantain et de manioc qu'il a dû abandonner.
"Les paras" l'accusaient de fomenter l'agitation parmi les paysans et l'ont mis au pied du mur: ou il cédait à un prix dérisoire sa ferme de 5,5 hectares ou ils le tuaient avant de "négocier" avec sa veuve. "Si je me montrais docile, je m'en sortais et eux étaient contents", a-t-il raconté à l'AFP.
José s'est déplacé jusqu'à Monteria (Cordoba, nord), localité de l'une des régions les plus fertiles de Colombie. Là, il a connu la misère, le travail au noir.
Plus de sept millions de paysans ont dû abandonner leurs terres ou en ont été expulsés durant le conflit armé qui a ensanglanté, pendant plus d'un demi-siècle, la quatrième économie d'Amérique latine.
Une spoliation qui a poussé la majorité des déplacés vers les bidonvilles, et dont guérillas comme paramilitaires sont responsables.
José s'est toutefois senti renaître en voyant une annonce à la télévision en 2011: le gouvernement, qui entendait négocier avec la rébellion marxiste des Farc, l'ennemi des "paras", s'engageait à rendre leurs terres aux paysans dépossédés.
Hommage à Santos
Deux décennies plus tard, grâce à la loi de restitution des terres, José parcourt des champs qu'il pensait ne jamais revoir.
En sept ans, 37.000 agriculteurs ont récupéré un total de 300.000 hectares; 700.000 autres sont en attente.
L'accord de paix, signé en 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), prévoit une réforme agraire visant à distribuer trois millions d'hectares et à légaliser les droits de propriété de sept millions de petits paysans.
José est l'un des rares à reconnaître le travail du président sortant Juan Manuel Santos, qui en dépit de ses efforts de pacification enregistre une impopularité record de 80%. En son honneur, il a même baptisé sa ferme "Los tiempos de Santos" (Les temps de Santos), inscrit en lettres oranges à l'entrée.
Aujourd'hui, il craint l'avenir. "Si (...) sous un gouvernement qui nous a rendu (nos terres), des choses ont manqué, que va-t-il se passer avec un gouvernement opposé?", interroge ce père de quatre enfants, deux fois grand-père.
La loi de restitution est valide jusqu'en 2021, sa prorogation dépendra du prochain président.
Bien qu'Ivan Duque, déterminé à modifier l'accord de paix, ne se soit pas prononcé, son entourage, composé de nombreux grands propriétaires terriens, y est farouchement opposé.
De son côté, Gustavo Petro entend appliquer le pacte et concrétiser la réforme agraire encore dans les limbes.
Des terres comme butin
La guerre, qui a appauvri nombre de Colombiens, en a enrichi une poignée, qui ont fait main basse sur les terrains spoliés.
Ce pays est le plus inégalitaire du continent dans ce domaine, devant le Pérou, le Chili et le Paraguay, selon l'ONG Oxfam.
"La concentration excessive des terres en Colombie s'explique par le fait que nombre d'élites locales vivent des rentes de la terre (...) pas nécessairement de son utilisation productive", explique Alejandro Reyes, auteur de l'investigation "Guerriers et paysans, la dépossession de la terre en Colombie".
Les grands propriétaires profitent du "très bas niveau d'imposition foncière" pour accumuler les hectares, ajoute-t-il.
S'y ajoutent le trafic de drogue et les assassinats de ceux osant réclamer leurs fermes, 29 depuis la loi, selon Ricardo Sabogal, directeur de l'Unité de restitution des terres, organisme public.
Un 5e des terres restant à restituer sont en outre plantées de cultures illicites de drogue dans un pays qui en compte la plus grande superficie du monde, et qui est le premier producteur de cocaïne de la planète, source de financement de tous les groupes armés.
"Les terres sont devenues un butin pour le blanchiment d'argent du narco-trafic et de la corruption", ajoute M. Reyes.
Une fois leurs terres retrouvées, les paysans sont confrontés à d'autres problèmes: le manque d'infrastructures.
Faute de route, la ferme de José Alarcon n'est accessible qu'à moto ou à cheval. Ni eau courante, ni électricité. Mais il est heureux. "Je suis revenu à mes racines paysannes (...) La terre, c'est tout!".
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