"C'est une décision historique, (...) la fin de 14 années de calvaire", s'est félicité jeudi auprès de l'AFP son avocat Alex Ursulet. "Cela montre qu'il ne faut jamais baisser les bras et se battre jusqu'au bout".
Rendu le 15 février et devenu définitif le 15 mai après un marathon judiciaire, l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme apporte, de façon retentissante, de l'eau au moulin des militants qui dénoncent sans relâche les "violences policières", dans les banlieues ou lors de mobilisations sociales.
"Cette décision met en lumière la tendance systématique de la justice française de donner raison aux forces de l'ordre dans les affaires de violences policières, où la parole des victimes est systématiquement mise en doute", a affirmé à l'AFP le délégué général de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat), Jean-Étienne de Linares.
La CEDH a conclu qu'Abdelkader Ghedir avait subi des mauvais traitements et devait être indemnisé par l'État au titre du préjudice matériel et moral.
Le jeune homme a 21 ans quand, le 30 novembre 2004, il est arrêté en gare RER de Mitry-Mory (Seine-et-Marne) par des agents de sécurité de la SNCF. Il est ensuite remis à la police qui le soupçonne de faire partie d'un groupe de lanceurs de cailloux sur un train dans une gare du réseau RER, repérés précédemment, ce que sa défense a toujours contesté.
L'interpellation est si brutale qu'il tombe dans un coma profond pendant plusieurs semaines. Il se réveillera avec une incapacité partielle permanente (IPP) estimée à 85%.
"C'était un grand gaillard plein de vie qui, du jour au lendemain, est passé à un état de légume", souligne Me Ursulet. Depuis, "sa vie quotidienne est toujours un calvaire": il vit confiné chez ses parents dans un fauteuil, a perdu une grande partie de ses capacités d'élocution et doit être accompagné tous les jours par trois personnes et un tuteur.
"Indécence judiciaire"
Un juge d'instruction a pourtant conclu à un non-lieu dans cette affaire, une décision confirmée par la cour d'appel de Paris puis par la Cour de cassation en 2011.
Saisie en 2012 par M. Ghedir, la CEDH avait noté dans un premier arrêt rendu en 2015 que "des éléments contradictoires et troublants" avaient été rassemblés dans cette affaire.
Ces contradictions concernaient "notamment la violence dont Abdelkader Ghedir aurait ou non fait preuve lors de l'arrestation et celle dont il aurait été victime, ainsi que des variations dans les déclarations de certains fonctionnaires de police".
Alors que les agents SNCF avaient affirmé avoir procédé à "une interpellation modèle (...), les fonctionnaires de police y ayant assisté la qualifièrent de +musclée+", selon les juges de Strasbourg.
En outre, certains policiers avaient raconté avoir vu un agent de la Surveillance générale (Suge, la police ferroviaire de la SNCF) "donner un coup de genou au visage à Abdelkader Ghedir, alors qu'il était maintenu au sol", selon le rappel des faits par la CEDH.
"Derrière les traitements dégradants et inhumains qu'a subis M. Ghedir, la CEDH a condamné en creux la justice française sourde et aveugle et l'arrogance des juges d'instruction qui ont fait insulte à son statut de victime", estime Me Ursulet.
Après le non-lieu définitif de la justice française, Abdelkader Ghedir avait également été condamné à rembourser la somme, autour de 400.000 euros selon son avocat, que lui avait versée la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi). "On a atteint là le sommet de l'indécence judiciaire", fustige Alex Ursulet, qui compte toujours faire annuler cette décision.
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