"Nos familles seraient tuées. Il y a des enfants partout ici. Nous vivons dans la peur constante que les pluies ne déclenchent un glissement de terrain", confie ce réfugié rohingya de 53 ans, qui occupe un abri sur une pente raide avec neuf proches.
Après la guerre et les maladies, les gigantesques camps de réfugiés du sud du Bangladesh sont à la merci d'une nouvelle menace au potentiel dévastateur: les déluges de la mousson, qui débute en juin.
Près d'un million de musulmans rohingyas en provenance de Birmanie voisine vivent dans la misère noire de cités de tentes qui s'étalent à perte de vue. Les petits camps préexistants ont vu leur taille exploser avec le déferlement d'une marée humaine à l'automne dernier.
En quelques mois, 700.000 personnes ont fui une campagne de l'armée birmane considérée par l'ONU comme une épuration ethnique. Submergé, le Bangladesh a déboisé dans l'urgence des centaines d'hectares pour permettre d'y établir des abris.
Cependant ces aménagements ont aussi pour conséquence de rendre le terrain encore plus vulnérable à la violence des éléments, dans une région qui recevra au cours des trois prochains mois plus de 2,5 mètres de précipitations. Soit le triple de ce qui tombe annuellement sur la Grande-Bretagne.
Pierres pour tenir le toit
Sur les 200.000 réfugiés résidant en zones à risques, à peine 21.000 ont été relocalisés à ce jour. Pendant qu'un ballet de bulldozers se hâte de niveler le relief, les réfugiés tentent de protéger leurs habitations du mieux qu'ils peuvent.
Des canaux sont creusés pour permettre de faciliter l'écoulement des pluies. Les toilettes sont protégées par des sacs de sable pour éviter que l'eau ne s'y infiltre et ne les fasse déborder.
Le réfugié Noor Mohammad a lui utilisé des bouts de bois et des pierres pour alourdir son toit qu'un coup de souffle a récemment arraché. Sans nourrir d'illusions sur l'efficacité de son dispositif.
"Ici, il n'y a rien pour arrêter le vent", lâche-t-il en montrant d'un geste l'étendue de monticules où la jungle de cabanes a remplacé celle de la végétation.
Originaires d'une région de Birmanie située de l'autre côté de la frontière toute proche, les Rohingyas sont familiers de la mousson. Mais dans l'État Rakhine, leurs villages étaient construits pour endurer la férocité des cieux et les arbres leur procuraient un semblant de protection.
En l'absence de place sur les collines saturées, des abris se sont également établis sur des zones en contrebas. "Nous pourrions perdre des vies au fur et à mesure que les gens glissent vers le bas des collines et que les vallées vont être inondées", s'alarme Kevin J. Allen, directeur des opérations du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).
Après les massacres en Birmanie, les Rohingyas "pourraient faire face à un autre danger, mais venant de la nature cette fois-ci", déclare-t-il à l'AFP.
Des cyclones formés dans le golfe du Bengale frappent régulièrement le district de Cox's Bazar, où se trouvent les camps de réfugiés, et y ont par le passé provoqué des destructions immenses. Phénomènes tourbillonnaires et inondations ont causé la mort de centaines de milliers de personnes ces dernières décennies au Bangladesh.
Piège des camps
Mais pour les réfugiés rohingyas, il n'y a nulle part où aller. Des barrages militaires filtrent les routes pour les maintenir dans les camps.
Le Bangladesh refuse aussi que les abris précaires soient convertis en habitations en dur. Dacca considère les Rohingyas comme des citoyens birmans - bien que Naypyidaw les voie comme étrangers - qui ne sont sur son territoire qu'à titre temporaire et s'oppose à toute mesure qui signalerait une installation dans la durée.
Dans la réalité, ces apatrides peuvent passer des décennies à végéter dans les campements insalubres où ils sont théoriquement barricadés, interdits de travailler ou de se marier avec des Bangladais.
Pour les réfugiés fraîchement débarqués de Birmanie, les premières tempêtes de la saison ont déjà donné un avant-goût de ce qui les attend.
De brèves pluies ont ainsi transformé les chemins en bourbiers, provoqué des éboulements et inondé les zones basses. Près de l'habitation d'Osiur Rahman, une fillette a péri dans un torrent de boue et de cailloux.
En cas d'urgence, les mosquées et centres communautaires de la région ne pourraient accueillir que 150.000 personnes au maximum. "S'il y a un gros cyclone et que tous ces gens doivent être hébergés, il n'y pas de dispositif adapté. Ce n'est pas possible de bouger un million de personnes", reconnaît Kazi Abdur Rahman, un responsable du district.
Une tempête ou un cyclone dévastateur pourrait couper l'accès aux camps durant une semaine, préviennent les organisations humanitaires, ceux-ci se trouvant dans une zone isolée. Une population plus large encore que celle de San Francisco se retrouverait alors sans nourriture.
Des milliers de porteurs sont en train d'être mobilisés pour pouvoir acheminer les denrées alimentaires à dos d'hommes si les routes deviennent impraticables.
"Que pouvons-nous faire d'autre ? Si Dieu ne nous protège pas, nous mourrons", se lamente Dil Mohammad, un réfugié de soixante ans.
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