"J'ai très mal dans la poitrine", répète, d'une voix essoufflée, l'homme paniqué au bout du fil. Avec douceur, l'opératrice de 33 ans le rassure: "on va vous envoyer des secours, monsieur".
Nom, localisation, symptômes… En moins de deux minutes, cette ancienne ambulancière, embauchée il y a huit ans, doit définir le niveau d'urgence, recueillir les informations administratives, synthétiser et basculer l'appel vers un médecin régulateur, seul habilité à prendre des décisions. En cas d'extrême urgence, elle peut déclencher l'envoi des secours.
Arrimés au plafond, des écrans diffusent en temps réel le nombre d'appels reçus et la proportion d'entre eux qui ont reçu une réponse en moins d'une minute. Munis de casques, les opérateurs répondent, inlassablement. Ici, un mari inquiet pour son épouse qui a "avalé quelque chose de bizarre". Là, une femme enceinte, prise de violentes douleurs. Il faut parfois décoder un langage brouillé par l'angoisse. Accompagner des familles dans les gestes de premiers secours. Puis après quelques secondes, prendre un nouvel appel.
Rarement soignants de formation, souvent secrétaires ou administratifs, les assistants de régulation médicale (ARM) sont les premiers maillons de la chaîne de secours, tristement mis en lumière par la mort de Naomi Musenga, décédée fin décembre après avoir été ignorée par une opératrice du Samu de Strasbourg.
L'affaire "a impacté tout le monde", souffle Émeline, évoquant les appels de colère reçus depuis. "Mais notre coeur de métier, c'est d'aider les gens, et on y arrive", sourit-elle.
Au Samu 75, au coeur de l'hôpital Necker, 2.500 à 3.000 appels arrivent chaque jour. La procédure est rodée: six à sept ARM répondent en journée, et "au moins cinq la nuit", avec, en face d'eux, "quatre médecins urgentistes" et "deux généralistes" libéraux, explique Barbara Mantz, encadrante.
Certains ARM sont en "première ligne", d'autres gèrent "la flotte des ambulances". Ils "savent s'adapter" en cas d'affluence, "prendre en charge trois appels simultanément, et prioriser", détaille-t-elle. "Dans tous les cas, le médecin parlera au patient".
"Activité à risque"
Suicides, noyades, crises cardiaques: régulièrement confronté à la mort, l'ARM gère aussi les erreurs de numéro, les inquiets recherchant un conseil ou des urgences sociales.
"On est forcément sous pression, car on ne sait pas ce qu'on aura au bout du fil", mais cela permet d'être "opérationnel dès la première seconde" assure Émeline.
Ici, les vacations ne durent pas 12 heures comme dans certains Samu, mais 7 heures 30. "On se parle, on se relaie, et on arrive normalement à respirer entre deux appels", raconte-t-elle.
Environ 40% des cas sont basculés vers les généralistes, et moins de 10% nécessitent l'envoi d'une équipe de réanimation. Les autres recevront, selon l'avis médical, une visite des pompiers, une ambulance ou un simple conseil.
D'un geste, une urgentiste réclame l'envoi d'une équipe de secours. Un bip retentit, signalant son départ. "Le plus important c'est le binôme formé avec le médecin" lors de chaque appel, qui permet à l'ARM de gérer son stress, pour rester "empathique, à l'écoute", insiste Émeline.
"Chaque situation de détresse, réelle ou ressentie, doit être prise au sérieux", renchérit l'urgentiste Alice Hutin. En cas de dysfonctionnement, les appels seront réécoutés et débriefés.
Pour Pierre Carli, chef du Samu de Paris et président du conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH), "la régulation est une activité à risque" et doit être "considérée comme telle", au même titre que "le travail au bloc opératoire".
Politique d'assurance qualité, certification, procédures harmonisées... Plusieurs pistes d'amélioration seront bientôt proposées au gouvernement. Quant au "difficile" métier d'ARM, il doit "être reconnu comme une profession de santé", plaide-t-il.
La formation de trois mois qu'à reçue Émeline est différente selon les départements et doit être "uniformisée". Mais, assure Pierre Carli, "les ARM sont motivés, font un travail formidable", et "sauvent des vies" tous les jours.
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