Cette relation a été couronnée par un honneur rare: son entrée, de son vivant à 84 ans, dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez l'éditeur Gallimard.
"Je semble avoir rencontré un lectorat considérable en France et une relation étroite avec mes lecteurs français, bien que je ne puisse dire exactement pourquoi", commentait-il, interrogé par le Washington Post sur cette distinction.
"Philip Roth n'a guère vécu en France, ne lit de littérature française que traduite, et n'a jamais pris comme décor de ses romans Paris, la province cliché du flâneur urbain et du spleen existentiel", s'amusait le quotidien.
Roth avait appris la langue de Molière comme collégien, puis l'avait oubliée. Cela ne l'empêchait pas d'être sensible à l'intérêt qu'on lui portait de l'autre côté de l'Atlantique.
"En octobre je lui ai apporté sa Pléiade. Il ne lit pas le français, mais il était vraiment content", a raconté à France Inter la critique Josyane Savigneau, qui lui rendait régulièrement visite.
Très lu en Europe
L'appareil critique de la Pléiade, marque d'un auteur consacré comme classique, éclaire tous les recoins d'une oeuvre, depuis les conditions de sa composition jusqu'aux allusions les plus fines.
"Il a presque plus de lecteurs en France et en Europe qu'aux États-Unis (...) En France, il vendait énormément. 'Pastorale américaine' a été un best-seller. Dans le reste de l'Europe, en Allemagne, en Italie, c'était un écrivain très, très lu", souligne l'écrivain et critique Pierre Assouline.
"Il y a certains auteurs qui pour une raison ou pour une autre (...) sont lus, fêtés, célébrés en France", confirme Christine Jordis, écrivain et éditrice pendant 20 ans de Roth chez Gallimard, citant par exemple Paul Auster ou Jonathan Coe. "Il y a des rothiens en France, des écrivains comme des lecteurs".
À Paris, la République des lettres l'adulait. Et la République tout court l'avait fait en 2013 commandeur de la Légion d'honneur.
"La France vous rend ce que vous avez donné à mon pays", avait lancé le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en remettant sa décoration à l'écrivain.
"Ce côté balzacien"
"Recevoir pareille distinction d'un pays autre que le sien a quelque chose de surprenant", avait répondu l'auteur, lors d'une cérémonie dans sa ville de New York.
"On n'arrive jamais vraiment à se convaincre qu'il y a dans d'autres pays des lecteurs qui prennent au sérieux ce que l'on écrit, tellement on est accaparé, au fil des décennies, par le travail sans relâche de l'écriture dans sa propre langue, sur sa propre époque et dans son propre pays", avait-il expliqué.
Le natif de Newark avait été traduit pour la première fois en 1962 par Gallimard, avec le recueil de nouvelles "Goodbye, Colombus", paru trois ans auparavant aux États-Unis.
En 1970, la traduction de "Portnoy et son complexe" ("La Plainte de Portnoy" dans la Pléiade), roman plus sulfureux, fait définitivement éclater son talent. Et "La Tache", en 2002, suscite "un engouement" du grand public, selon Christine Jordis.
"La reconnaissance par une certaine intelligentsia a été précoce en France. Il y a été défendu par des gens qui comptaient", souligne Philippe Jaworski, professeur de littérature américaine à l'université Paris-Diderot qui a coordonné l'édition de la Pléiade.
"Qu'est-ce qui fascine ici? Il y a peut-être ce côté balzacien, cette capacité à embrasser une totalité, avec des romans qui, sans relever de la littérature d'avant-garde, ont su malmener suffisamment les codes de la narration", ajoute-t-il.
"Il n'a jamais eu le public des grands écrivains populaires là-bas. Parce que c'est une littérature exigeante", renchérit Pierre Assouline. "Le fait aussi qu'il soit catalogué écrivain juif américain, ce dont il avait horreur. Pour beaucoup de lecteurs américains moyens, c'est la côte est, New York, c'est pas pour nous".
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