"Anne est morte le 23 novembre 2017." Ainsi commence le récit à l'AFP de cet homme meurtri par l'absence mais soutenu par le choix de celle qu'il aimait depuis 20 ans.
Lui qui, au départ, ne pouvait se résoudre à cette décision, et se "tuait à la faire vivre", a choisi de "l'accompagner" et parle finalement d'une ultime "preuve d'amour" de la part de sa femme.
Anne Flottes était une psychodynamicienne reconnue et consultante en santé psychique au travail, militante syndicale, mère de grands enfants et grand-mère. Randonneuse, skieuse, danseuse classique. Elle profitait d'une retraite active quand les premiers symptômes de la maladie sont apparus.
Dernière balade
À l'automne 2015 tombe le diagnostic redouté: sclérose latérale amyotrophique (SLA), aussi appelée maladie de Charcot, une maladie neurodégénérative paralysante, incurable. Une autre Anne, Bert, écrivaine, en a aussi été atteinte. Et a préféré, comme elle et presque au même moment, éteindre ce corps-prison qui trahit un esprit resté intact.
"Le temps passe, les symptômes s'aggravent", raconte Pierre, d'une voix qui s'amenuise comme les facultés physiques de son aimée.
En juillet 2016, c'est la carte d'invalidité et "notre dernière balade". "On est montés au col de la Balme". Une randonnée de 600 mètres de dénivelé au panorama époustouflant dans le Vercors. D'où il faut l'aider à redescendre, l'équilibre devenant précaire.
"En septembre, octobre 2016, elle ne peut quasiment plus écrire et elle mange à peine seule". Le couple de retraités quitte Lyon et emménage à Fontaine près de Grenoble, "parce qu'on s'était toujours promis d'y habiter".
Au printemps 2017, les aides-soignants à domicile viennent soulager Pierre. "Elle n'était plus capable d'aller aux toilettes. Il fallait que je sois là toutes les deux heures". En mai, "elle sait qu'elle n'attendra pas la mort 'normale'. Restait à savoir ce qu'il était possible de faire". En juin, c'est l'achat du fauteuil roulant.
Une visite au CHU de Grenoble les laisse désemparés: les soins palliatifs ne sont pas pour elle, la sédation profonde et continue prévue par la loi Leonetti n'est autorisée qu'à 15 jours de sa mort. Que personne ne peut prédire.
"C'était l'angoisse !", s'indigne encore Pierre Franchi. "Elle commençait à avoir des difficultés d'élocution et voulait pouvoir dire ce qu'elle voulait."
"Sa vie avait été de parler, d'échanger. C'était essentiel et c'était sa limite. Quand on parle de dignité, chacun a la sienne. Celle d'Anne était de tenir une conversation. Ne plus en être capable était le seuil au-delà duquel la vie n'était plus vivable. Pour elle."
Une "bonne mort"
Par le biais de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), ils entrent en contact en septembre avec un médecin belge, le Dr François Damas de l'hôpital de Liège.
Des échanges longs et répétés amènent le praticien à lui écrire: "Vous pouvez compter sur moi". "Une bouffée d'oxygène, un apaisement", se rappelle Pierre. "Ne plus être paralysée par la peur", écrira Anne dans une ultime lettre qui parle d'une "bonne mort" à venir.
Après des adieux aux enfants, la sortie de son dernier livre ("Travail et Utopie"), les derniers repas cuisinés par Pierre -- confit de canard, fondue d'endives--, ils prennent la route pour la Belgique. S'arrêtent une nuit à Metz, pensent y visiter le Centre Pompidou mais "il pleuvait des seaux", déjeunent sur les hauteurs de Liège "où il y avait du soleil".
Puis l'hôpital. "Ce dernier voyage vous voulez le faire quand?", sera une des dernières questions posées à Anne, en plus de son consentement réitéré à trois reprises. "Demain". Pierre a simplement demandé "qu'après, il fasse encore jour". "J'avais envie de la vie, même si...", dit-il. Des larmes roulent sur son visage.
Le lendemain, la perfusion a été alimentée avec un produit létal. "Anne a obtenu ce qu'elle avait demandé." Pierre conclut: "Elle est morte comme elle a vécu. Elle a construit sa vie et elle a construit sa mort".
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