Le retrait américain de l'accord sur le programme nucléaire iranien, accompagné du retour des sanctions américaines tant redoutées, fait brusquement planer des risques financiers considérables sur les entreprises voulant investir en Iran depuis la signature de ce document historique en 2015.
"Nous devons maintenant agir", a déclaré le président de la Commission européenne Jean Claude Juncker, à l'issue d'un sommet des dirigeants européens avec leurs homologues des Balkans à Sofia, éclipsé par le "front uni" que les Européens ont voulu afficher face à Washington.
"C'est la raison pour laquelle nous lançons le processus de la loi de blocage, le 'blocking status' de 1996, qui vise à neutraliser les effets extraterritoriaux des sanctions américaines", a-t-il déclaré devant la presse. "Nous devons le faire et nous le ferons demain matin à 10H30", a-t-il ajouté.
L'outil évoqué est un règlement européen datant de 1996, créé à l'origine pour contourner l'embargo sur Cuba et qu'il s'agit désormais d'adapter. Il permet aux entreprises et aux tribunaux européens de ne pas se soumettre à des sanctions prises par des pays tiers.
Le désaccord avec les États-Unis sur l'embargo cubain avait toutefois été réglé au niveau politique et donc l'efficacité de ce règlement n'a jamais été éprouvée. Son effet pourrait être plus symbolique qu'économique, selon une source européenne.
La Chine en embuscade
"Les conséquences indirectes de la décision américaine vont favoriser les positions russes et chinoises dans la région et avantager leurs entreprises", a relevé le président français Emmanuel Macron à Sofia, illustrant les craintes des Européens. Mais "nous n'allons pas déclencher une guerre commerciale avec les États-Unis sur l'Iran ou contre-sanctionner des entreprises américaines", a-t-il par ailleurs assuré.
L'annonce jeudi par l'armateur danois de navires pétroliers Maersk Tankers de la cessation de ses activités en Iran, semble laisser présager de retraits en cascade d'entreprises européennes craignant de lourdes représailles américaines.
Les grandes entreprises allemandes restent pour l'heure sur la réserve. En première ligne, l'industriel Siemens qui s'était relancé en Iran après la levée des sanctions avec ses turbines à gaz, s'en tient à une position d'attente, tout comme Volkswagen, Daimler et le lessivier Henkel, également présents, à plus petite échelle.
Face au retrait probable du Français Total d'un projet de développement du vaste champ gazier iranien Pars Sud, l'Iran a aussitôt prévenu qu'il serait remplacé par le géant énergétique chinois CNPC, partenaire de Total dans ce contrat de 4,8 milliards de dollars.
"Nous n'allons pas contraindre des entreprises à rester. Le président de la République française n'est pas le PDG de Total. Lui défend les intérêts de son entreprise, regarde ce que le marché iranien lui apporte par rapport à son marché saoudien et d'autres pays", a à cet égard plaidé Emmanuel Macron.
La Chine, assoiffée d'hydrocarbures et premier partenaire commercial de Téhéran, semble effectivement avoir l'intention de passer outre les sanctions américaines afin de muscler ses investissements en Iran. Au risque d'aggraver les relations avec Washington, déjà tendues depuis l'introduction de droits de douane par les les États-Unis sur l'acier et aluminium.
Pas important des Russes
La Russie, une alliée de Téhéran qui avait maintenu des liens commerciaux lorsque les sanctions occidentales étaient en place, a de son côté fait un pas important pour rapprocher l'Iran de sa zone d'influence économique.
L'Union économique eurasiatique, menée par Moscou et réunissant plusieurs ex-républiques soviétiques, a signé à Astana jeudi un accord préliminaire avec l'Iran. Réduisant d'ores et déjà les droits de douane sur certains produits pour trois ans, l'objectif est de créer à terme une zone de libre-échange.
Si cet accord était en préparation depuis 2016, bien avant le retrait américain, il montre que la Russie, comme la Chine, ont l'intention de renforcer leurs relations commerciales avec Téhéran malgré le rétablissement des sanctions économiques de Washington.
La Russie a condamné l'annonce de Donald Trump et cherche avec les Européens à sauver l'accord. Son alliance avec Téhéran permet à ses entreprises d'être bien placées pour continuer à commercer avec l'Iran, d'autant que leurs concurrentes occidentales auront le plus grand mal à poursuivre leurs activités malgré d'importants investissements.
Les Russes, dont les relations avec les Occidentaux sont déjà au plus bas et qui ont l'habitude de faire des affaires dans un environnement de sanctions économiques, ne devraient pas craindre de contrecarrer Washington.
"Pas parfait"
L'accord conclu en juillet 2015 après des années d'âpres négociations entre l'Iran et le groupe 5+1 (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) avait permis de geler le programme nucléaire iranien jusqu'en 2025, en échange de la levée d'une partie des sanctions internationales contre Téhéran.
"Nous allons œuvrer pour maintenir le cadre de l'accord de 2015 quelles que soient les décisions américaines", a déclaré M. Macron, tout en estimant que cela n'excluait pas "des négociations sur un accord plus large indispensable" avec Téhéran.
"Tout le monde au sein de l'Union européenne s'accorde à dire que l'accord n'est pas parfait, mais que nous devrions rester malgré tout dans cet accord et mener des négociations supplémentaires avec l'Iran", a renchéri la chancelière allemande Angela Merkel, également à Sofia.
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