Il est 15H00 et Médecins du monde vient de commencer sa consultation quai du Lot, entre les tentes et le point d'eau sommaire où les hommes font leur lessive. Derrière la camionnette blanche où deux médecins dispensent des soins de base, un homme est soudain pris de convulsions, à quelques mètres du canal de Saint-Denis.
Il faudra de longues minutes pour le remettre debout. Le jeune Soudanais, visage douloureux et regard paniqué, balbutie des mots incompréhensibles. Il refusera de suivre les pompiers. "Sans doute une prise de stupéfiants", soupire Louis Barda, responsable des maraudes de Médecins du monde, qui se désole: "Ce genre de situation d'usure et de désespoir est amené à se répéter".
Car sur ce campement "comme on n'en a jamais vraiment connu à Paris, la situation devient inquiétante", ajoute-t-il. La tension "a clairement changé de niveau ces deux dernières semaines" avec comme symptômes "des blessures à la barre de fer, des plaies ouvertes, des coups de couteau".
Dimanche, un Soudanais a été gravement blessé à la suite d'une rixe, tandis qu'un jeune Afghan s'est noyé accidentellement la semaine dernière dans le canal Saint-Martin, près d'un autre campement. Un autre corps avait été repêché le 6 mai dans le canal de Saint-Denis, sans pouvoir être identifié. Quelque 2.400 migrants vivent sur les différents campements parisiens.
La dégradation "se comprend vu les conditions de vie et le sentiment d'abandon", estime M. Barda, qui voit "de plus en plus d'addictions" se développer au Millénaire.
Les pathologies de la rue sont en outre fréquentes -- maladies respiratoires et de peau, avec des cas de gale. Le mois dernier un dépistage de tuberculose a été effectué, qui n'a révélé aucun cas avéré "malgré des radios suspectes".
"C'est tellement difficile ici. La nuit il fait très froid, on n'a pas de nourriture correcte, on ne peut pas se laver", raconte Ahmad, depuis deux semaines sur le campement, qui veut "rester ici, trouver du travail, faire (sa) vie en France".
"Passer en Grande Bretagne, c'est 1.000 euros, c'est trop cher", affirme Beniam, Erythréen de 26 ans, en rajustant le bandage autour de son bras, stigmate d'une blessure vieille de quatre mois.
Passeurs venus de Calais
"Leurs journées se résument à trouver de la nourriture, du dentifrice ou du savon, à laver leurs vêtements. Ils sont bloqués sur ce campement sans pouvoir se projeter", se désole Alix, coordinatrice pour Paris de l'association Utopia 56.
Mais "ce qui se passe ici, c'est aussi que l'Etat ne prend vraiment pas ses responsabilités. Du coup, les citoyens, collectifs et associations doivent prendre le relais", ajoute-t-elle.
La maire de Paris, qui plaide pour une mise à l'abri, s'est vue renvoyer à ses responsabilités début mai par le ministère de l'Intérieur qui lui demande "d'entamer les procédures judiciaires" pour permettre de "mener à bien" une évacuation.
Partant du constat qu'aucune des 29 opérations menées ces trois dernières années conjointement avec l'Etat n'avait nécessité une telle requête, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a fini par se tourner vers le Premier ministre Edouard Philippe pour l'alerter sur l'"impasse" des campements.
Depuis, les appels à une mise à l'abri se multiplient: jeudi, les principales ONG du secteur ont appelé "d'urgence" à une opération pour empêcher de futurs "drames" tandis que le vicaire général du diocèse de Paris, Mgr Benoist de Sinety, dénonçait "une absence totale d'humanité". Le HCR s'est déjà dit "préoccupé" par la situation.
"Laisser ce camp se développer c'est aussi le laisser à la main des passeurs (qui) "sont revenus en partie de Calais", avertit M. Barda. Avec une conséquence directe: "Ils font leur marché et entretiennent des trafics, avec les tensions qu'on connaît aujourd'hui".
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