Dans un retour frappant à sa rhétorique traditionnelle, après des mois de rapprochement diplomatique sur la péninsule, la Corée du Nord a indiqué mercredi que la rencontre historique serait annulée si Washington cherchait à l'acculer à renoncer unilatéralement à son arsenal nucléaire.
"Si les Etats-Unis tentent de nous mettre au pied du mur pour nous forcer à un renoncement nucléaire unilatéral, nous ne serions plus intéressés par un tel dialogue", a déclaré le ministre adjoint des Affaires étrangères Kim Kye Gwan cité par l'agence officielle KCNA, alors que le sommet est prévu le 12 juin à Singapour.
Pyongyang a aussi annulé une rencontre de haut niveau avec la Corée du Sud pour protester contre des exercices militaires annuels en cours entre Séoul et Washington, qualifiés de "provocation".
"Nous avons toujours bon espoir que la réunion se tienne et nous agissons dans ce sens, mais en même temps nous étions conscients du fait qu'il pouvait s'agir de négociations difficiles", a déclaré quelques heures plus tard la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders, sur la chaîne Fox News.
"Comme le président l'a dit à plusieurs reprises, nous sommes prêts pour cette rencontre, et si elle se produit c'est très bien, sinon nous aviserons", a insisté Sarah Sanders promettant, en l'absence de compromis avec Pyongyang, de "poursuivre la campagne de pression maximale en cours".
La Chine, plus proche allié de la Corée du Nord, a appelé à la tenue du sommet comme prévu.
"Tentative sinistre"
Washington exige "la dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible" de la Corée du Nord. Mais pour l'heure, celle-ci n'a pas rendu publiques les concessions qu'elle propose, hormis des engagements envers la dénucléarisation de la "péninsule coréenne", une formule sujette à interprétation.
"Pyongyang a clairement dit à maintes reprises que la condition préalable à la dénucléarisation est de mettre fin à la politique hostile envers la Corée du Nord, aux menaces nucléaires et au chantage des Etats-Unis", a poursuivi le ministre nord-coréen.
Par le passé, Pyongyang a exigé le retrait des troupes américaines déployées au Sud pour protéger Séoul de son voisin, de même que la fin du parapluie nucléaire américain sur son allié.
Le ministre a également tiré à boulets rouges sur le conseiller américain à la Sécurité nationale John Bolton, qui a évoqué le "modèle libyen" pour la dénucléarisation du Nord.
Il s'agit d'une "tentative sinistre d'imposer à notre digne Etat le destin de la Libye et de l'Irak", a-t-il lancé.
Le Nord justifie de longue date ses armes nucléaires par la menace d'invasion américaine. Après avoir renoncé à son programme atomique, le leader libyen Mouammar Kadhafi avait été tué lors d'un soulèvement soutenu par des bombardements de l'OTAN.
Recadrer les termes du débat
M. Kim a par ailleurs balayé la proposition du secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo --qui s'est rendu deux fois à Pyongyang-- selon laquelle les Etats-Unis pourraient apporter une aide économique à la Corée du Nord, en échange de la dénucléarisation
Ces dernières semaines, outre un sommet rarissime avec le président sud-coréen Moon Jae-in dans la Zone démilitarisée (DMZ) qui divise la péninsule, Kim Jong Un a rencontré deux fois le président chinois Xi Jinping et annoncé qu'il détruirait la semaine prochaine son site d'essais nucléaires.
D'après les analystes, Pyongyang cherche à recadrer les termes du débat.
"C'est une tactique diplomatique", a déclaré à l'AFP Kim Hyun-wook, professeur à l'Académie diplomatique nationale de Corée. "C'est la politique du précipice pour changer la position américaine."
"On dirait que Kim Jong Un a été contraint d'accepter les exigences américaines de la +dénucléarisation d'abord+ et qu'il tente maintenant de changer de position après avoir normalisé les relations avec la Chine".
"La diplomatie classique de la Corée du Nord, marcher sur la corde raide entre la Chine et les Etats-Unis, a débuté", a ajouté cet analyste.
Des responsables américains ont martelé que la politique américaine des "pressions maximum" sur Pyongyang avait payé en le contraignant à discuter.
Pour Joshua Pollock, de l'Institut Middlebury des études internationales, le Nord a été irrité par le ton "triomphaliste" de Washington.
Annulation indéfinie
Quelques heures plus tôt, KCNA avait qualifié les exercices militaires américano-sud-coréens Max Thunder de "provocation maléfique et malpolie". Ces exercices en cours mobilisent une centaine d'avions dont des chasseurs furtifs F22.
Séoul a déclaré qu'il avait été notifié de l'annulation "indéfinie" des pourparlers à haut niveau prévus mercredi, qualifiant la décision de "regrettable".
Pyongyang a passé des années à constituer son arsenal nucléaire, menant l'année dernière son sixième essai atomique, le plus puissant à ce jour, et tirant des missiles capables d'atteindre le territoire continental des Etats-Unis.
Ses ambitions militaires lui ont valu de multiples salves de sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU tandis que MM. Trump et Kim échangeaient insultes personnelles et menaces belliqueuses.
Mais les jeux Olympiques d'hiver organisés en Corée du Sud ont été le catalyseur d'un rapprochement spectaculaire, M. Moon utilisant l'événement pour orchestrer des pourparlers entre Washington et Pyongyang.
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