le 17 mai, l'AFP rend compte de l'ambiance électrique qui règne dans la salle rouge et or où des auteurs classiques et contemporains sont habituellement joués.
Ce jour-là le directeur Jean-Louis Barrault, qui a refusé de chasser les manifestants, dépose son titre à leurs pieds, solidaire. André Malraux, ministre des Affaires culturelles, n'appréciera pas et officialisera son renvoi.
Jean-Louis Barrault : "Je ne suis plus directeur de l'Odéon"
PARIS, 17 mai 1968 (AFP) - Vers 1 heure du matin, Jean Louis Barrault s'est adressé depuis le plateau de l'Odéon-théâtre de France aux manifestants qui emplissaient la salle : "Au risque de décevoir quelques personnes, a-t-il dit, je vous annonce que je ne suis plus le directeur de ce théâtre. Je ne suis plus qu'un comédien comme les autres. Barrault est mort...".
Ces paroles ont été accueillies par un tonnerre d'applaudissements.
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L'Odéon est devenu une salle de meetings
PARIS, 17 mai 1968 (AFP) - L'Odéon qui, selon la dialectique révolutionnaire des étudiants, n'est plus un théâtre mais une salle de meetings ininterrompus, a vécu, cette nuit, les premières heures de sa nouvelle destination, heures mouvementées, hautes en couleurs, avec participation de tout le folklore du quartier latin.
La vénérable salle du théâtre de France peut contenir 2.500 personnes, pourtant ils étaient, vers minuit, un bon millier de plus à vouloir assister à cette Première insolite. On poussa, on cria, on se bouscula même et, lorsque le parterre, les balcons, les loges et le plateau tout entier, furent noir de monde, les cohortes mécontentes tambourinaient en cadence contre les portes, que le service d'ordre étudiant avait fermées à la hâte.
"Mesure de sécurité, tout risque de s'écrouler s'il y a trop de monde", répondait-on aux solliciteurs, souvent non satisfaits de cette explication.
Dans la salle où, aux côtés d'une majorité d'étudiants on voyait de nombreux comédiens, des ouvriers et même des habitants du quartier venus en curieux, la discussion s'instaurait. Plusieurs comédiens et des représentants des diverses activités théâtrales tentèrent de porter le débat sur l'avenir de leurs professions, mais, bien vite, les discussions prirent une tournure plus "révolutionnaire" et, tard dans la nuit, l'on discutait ferme sur la meilleure façon d'aller porter la bonne parole dans les usines ou de forcer tel ou tel "bastion de la bourgeoisie capitaliste".
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L'Odéon est "tombé" en moins d'une heure
PARIS, 14 juin 1968 (AFP) – Après trente jours d'occupation par le Comité d'action révolutionnaire –émanation du mouvement du 22 mars de Daniel Cohn Bendit-, le "bastion" de l'Odéon est tombé aux mains des forces de l'ordre en moins d'une heure ce matin, sans résistance, sans incident.
Le préfet de police, M. Paul Grimaud, accompagné du directeur de la police judiciaire, M. Max Ferhet, a dirigé en personne l'opération qui avait mobilisé d'importantes forces de la gendarmerie mobile et de la police municipale. "Il était grand temps que les choses reviennent à la normale", devait déclarer le préfet en arrivant sur place.
Peu après 9 heures, les policiers investissent le quartier à l'intérieur du théâtre de France, l'atmosphère est à la déroute, précipitamment les occupants –une centaine environ- rassemblent leurs affaires, bouclent un baluchon. A l'extérieur, c'est le "suspense". La police va-t-elle pénétrer en force ? Attendra-t-elle que les squatters se rendent ? C'est cette dernière formule qui prévaut. Un jeune médecin qui avait été dépêché à l'intérieur du théâtre pour soigner l'un des "Katangais" (du nom du chef de ce groupe armé "Jacques le Katangais" qui dit avoir été mercenaire au Congo, ndlr) blessé au cours de la nuit à la Sorbonne, fait office de parlementaire.
"Que ceux qui désirent sortir le fassent. Ils seront libres s'ils évacuent sans armes et sans intention belliqueuse", ce sont les termes du message que le praticien transmet aux représentants du comité d'occupation de la part des autorités policières.
Quelques minutes plus tard, on voit apparaître entre les colonnades un jeune couple timide, apeuré, la main dans la main. Puis, des groupes de trois, de quatre, "se rendent". Ils sont fouillés par les policiers, emmenés dans un véhicule un peu plus loin où l'on vérifie leur identité et relâchés ensuite.
Beaucoup de barbus échevelés dans le lot, des garçons et des filles au visage d'insomniaque, ainsi que des clochards professionnels. On cherche les fameux "Katangais" bardés de cuir, coiffés de casques au visage patibulaire, tant décrits ces jours passés. En vain, leurs "petites alliées" leur ont coupé les cheveux, fait la barbe, et les ont vêtus de frais, aussi passent-ils inaperçus. Leurs casques, leurs chaînes de vélo, leurs nerfs de bœuf, leurs manches de pioche, leurs cocktails Molotov, leurs masques à gaz, ils les ont laissés dans les loges et les vestiaires en abandonnant la place.
Les gendarmes tout étonnés voient encore sortir des couples avec des enfants de trois et de cinq ans sur les bras. Puis des inspecteurs de la police judiciaire pénètrent à l'intérieur de l'Odéon. Ils invitent les derniers occupants à vider les lieux à leur tour.
Des policiers grimpent quatre à quatre les escaliers qui mènent à la terrasse surmontant le péristyle. Là, ils amènent rapidement les drapeaux rouges, les drapeaux noirs, la banderole du comité d'action révolutionnaire qui "ornait" le fronton. Ils plantent à la place un emblème tricolore.
En bas, sur la place, la foule des curieux qui s'est rassemblée derrière les cordons de gendarmes mobiles applaudit les policiers lorsqu'ils enlèvent les couleurs de la révolution. A sa fenêtre du deuxième étage, dominant le théâtre, un jeune homme siffle et lance une bordée d'injures. Son père s'approche, le gifle et referme la croisée derrière laquelle s'échappent les échos d'une vive discussion.
Les policiers parcourent ensuite le théâtre en tous sens assistés de quelques collègues du laboratoire municipal. Il s'agit de récupérer les armes et peut-être les explosifs laissés derrière eux par les occupants. Ils découvrent notamment des bâtons de gardien de la paix –quelques-uns tâchés de sang- dont les émeutiers s'étaient emparés dans les commissariats de police pillés lors des nuits dramatiques de mai.
Dans leur quête, les inspecteurs tombent soudain sur un groupe de onze garçons et filles endormis sur des lits de fortune. Ceux-ci plongés dans le sommeil n'avaient rien entendu de ce qui se passait autour d'eux depuis une heure.
Un grand blond efflanqué, mordant dans un quignon de pain déclare à un policier qui s'enquiert de savoir s'il n'appartient pas au groupe des "Katangais" : "Je n'ai aucune appartenance, je suis dissous… ". Rapidement le butin des policiers qui réquisitionnent s'enrichit de poignards, de rasoirs, de matraques, de lance-pierres, de médicaments, de dopants de toutes sortes. Ils récupèrent même un sabre de cavalerie et un tromblon hors d'usage. Dans une loge, au-dessus d'un lit de camp, un graffiti rouge s'étale sur un mur blanc : "Embrasse ton amour sans lâcher ton fusil".
Il est 11 heures. L'opération s'achève. Des femmes de ménage sortent de l'Odéon les bras chargés de couvercles de poubelles. Dans le théâtre, où les clameurs se sont tues, le vide, le silence, succèdent à l'animation, à la fièvre des semaines passées. M. Maurice Grimaud, préfet de police, descend les escaliers du théâtre et déclare laconiquement : "c'est assez sale…" avant de remonter en voiture.
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