Trop faible pour porter son cartable d'écolier, Basharat Ali, désormais âgé de 32 ans, a été emmené à l'hôpital, où des médecins ont établi que l'eau qu'il avait consommée, chargée en arsenic et différents métaux et minéraux, était en cause.
"Ça a été un énorme choc pour moi. J'ai dû arrêter mes études pour suivre un traitement", raconte cet homme frêle aux dents jaunies et abîmées, assis sur le toit de sa maison située à 45 km de Lahore, la deuxième ville du Pakistan.
De là, Basharat Ali a une vue directe sur des usines des environs, qui produisent tant du plastique que des produits pharmaceutiques, en passant par des câbles électriques... et sont fréquemment accusées de polluer l'eau que les riverains boivent ensuite.
D'après la Chambre de commerce et de l'industrie de Lahore, 90% des entreprises rejettent leurs déchets industriels sans les traiter.
Des médias locaux se sont émus de la situation à Kot Assadullah il y a plus d'une décennie. Des équipes médicales s'y sont rendues, ainsi que des experts environnementalistes. De nouveaux puits ont alors été creusés. Mais la situation ne s'est pas améliorée pour autant et l'eau reste polluée.
D'après Basharat Ali, au moins 200 enfants souffrent de malformations des os et des dents depuis 2000. Devenus adultes, "ils restent cachés dans leurs maisons" et "ne reçoivent aucune proposition de mariage", peste le trentenaire, dont une jambe est plus courte que l'autre et qui peine à marcher.
"Les gens nous reconnaissent"
Cette petite ville de 6.000 âmes est désormais connue pour les disgrâces frappant sa population. "Les gens des autres villages nous reconnaissent et nous disent: +Vous êtes de Kalalanwala+", un autre nom de Kot Assadullah, se lamente Muhammad Mukhtiar, un commerçant de 26 ans.
Lors du passage récent de l'AFP, des hommes, femmes et enfants faisaient la queue, des bouteilles de toutes tailles à la main, devant des robinets proposant de l'eau filtrée, mis en place par une ONG l'année dernière.
Un autre centre de traitement des eaux, public, est actuellement en construction. Tous deux ne suffiront toutefois pas à abreuver l'ensemble de la commune, selon ses habitants.
Les autorités du Pendjab, la province dont Lahore est la capitale, n'ont pas souhaité répondre aux questions de l'AFP, malgré plusieurs relances.
D'après le Dr Khalid Jamil Akhtar, un médecin ayant visité la zone pour le compte des pouvoirs publics, l'arsenic peut provoquer des vomissements, des diarrhées et des problèmes intestinaux. Sa présence peut aussi affecter le foie, les poumons, les reins, voire tout le système gastro-intestinal.
La plupart des patients qui l'ont consulté souffraient de neuropathie - un dysfonctionnement nerveux qui peut causer des difformités, ainsi que l'engourdissement ou un affaiblissement des membres -, généralement liée selon lui à "l'eau polluée par les toxines des usines alentour". Certains cas pourraient aussi avoir des causes génétiques, juge-t-il.
Empoisonnement
La concentration d'arsenic dans l'eau est particulièrement préoccupante au Pakistan. Une étude conduite par l'expert suisse Joël Podgorski à partir de 1.200 prélèvements d'eaux souterraines partout dans le pays montre que jusqu'à 60 millions de Pakistanais risquent l'empoisonnement à cet élément.
La recherche, publiée l'an passé, a identifié de fortes concentrations d'arsenic le long du fleuve Indus et de ses affluents, avec des "points chauds" autour des grandes villes que sont Lahore et Hyderabad (Sud), aux populations respectives de 12 et 2 millions d'habitants.
Le Conseil national de recherche sur l'eau (PCRWR), une entité publique, conteste ces résultats, estimant que l'échantillon est trop limité, mais reconnaît que l'arsenic pose problème. Selon ses propres analyses conduites depuis 2012, entre 69 et 85% des eaux pakistanaises sont polluées et/ou impropres à la consommation.
"Nous avons même trouvé de l'arsenic dans de l'eau en bouteille", remarque Lubna Bukhari, en charge de la qualité de l'eau au PCRWR.
Faute de pluies régulières, les pompes puisent de plus en plus profondément dans les nappes phréatiques, où la teneur en arsenic est naturellement plus importante.
La situation est préoccupante, alors que le Pakistan, dont la population est en plein essor, se retrouvera d'ici 2025 en situation de "pénurie absolue" d'eau, selon l'ONU.
Il n'y a pourtant aucun plan national pour dépolluer l'eau, et encore moins pour la préserver. Les questions environnementales relèvent des provinces, dans l'incapacité financière de remédier à des problèmes qui les dépassent.
Vingt ans ont passé depuis que les premières difformités ont été détectées à Kot Assadullah, et rien ou presque n'a changé.
Naveed, un travailleur journalier de 25 ans, raconte que ses jambes ont commencé à se déformer alors qu'il n'avait que 3 ans. "Je n'ai aucun espoir", se lamente-t-il. "Car nous sommes pauvres et personne ne nous écoute".
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