Chez lui, dit-il, c'est à Kafr Ana, aujourd'hui en Israël, à une cinquantaine de kilomètres du camp de réfugiés d'Al-Amari en Cisjordanie occupée, où il est né et a grandi.
Kafr Ana n'existe plus depuis des décennies. Peuplée, selon les estimations, de près de 3.000 Arabes et plus de 200 juifs, la localité s'est vidée de sa population devant l'offensive de l'organisation paramilitaire juive Haganah dans les semaines précédant la création d'Israël et la guerre israélo-arabe de 1948.
La proclamation d'indépendance d'Israël le 14 mai 1948 est synonyme d'exode et de "catastrophe" ("Nakba" en arabe) pour les Palestiniens, qui sont des centaines de milliers à avoir été chassés ou avoir fui leur village.
Tandis que les Israéliens célébreront lundi l'ouverture de l'ambassade américaine à Jérusalem, geste majeur de l'administration de Donald Trump en faveur d'Israël, les Palestiniens commémoreront le lendemain la "Nakba", comme chaque année. Les deux évènements annoncent une mobilisation palestinienne à hauts risques.
Thaer Sharkawi fait partie des quelque cinq millions de Palestiniens enregistrés comme réfugiés et répartis entre le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Cisjordanie occupée et la bande de Gaza.
"Cheikh Google"
La majorité d'entre eux sont les descendants de ceux qui sont partis en 1948, dont les grands-parents de Thaer Sharkawi, et n'ont jamais vu leurs maisons familiales, dont beaucoup ont été détruites.
Pourtant, Thaer Sharkawi s'anime quand il évoque les orangeraies dont s'occupait son aïeul. Il sait aussi qu'il y avait une école de garçons et une de filles.
"Je n'y suis jamais allé mais j'en ai entendu parler", dit-il. "Je me suis renseigné, je suis allé sur internet".
Nabil, le père de Thaer Sharkami, assis aux côtés de son fils et de sa propre mère, Khadija, 85 ans, dit ne pas s'inquiéter pour la préservation du passé au sein de la nouvelle génération.
"On a des possibilités (technologiques) maintenant. Il y a cheikh Google. Ils y vont et ils voient: +C'est ici que se trouvait Kafr Ana+. Google les aide à voir la terre qui est la leur", dit-il.
Le "droit au retour", la revendication des Palestiniens à revenir sur les terres aujourd'hui israéliennes, demeure l'une des questions les plus épineuses en vue d'un règlement - qui paraît de plus en plus distant - du conflit israélo-palestinien.
Israël rejette catégoriquement un tel droit, faisant valoir qu'autoriser même une fraction d'entre eux à revenir reviendrait à proclamer sa propre fin en tant qu'État juif. Pour les Palestiniens, y renoncer semble inacceptable.
Les réfugiés ont transmis le lien de génération en génération. Ils se contentent rarement d'invoquer la nostalgie de la Palestine, mais se réfèrent au village ou à la ville, voire à la rue familiale.
Ils véhiculent volontiers les stéréotypes sur le lieu des origines familiales. Ceux de Majdal sont des hommes d'affaires roués, ceux de Lod un peu pingres tandis que ceux de Jaffa ont la fibre artistique.
"Nous rentrerons un jour"
Le souvenir est aussi entretenu par les Arabes israéliens, les descendants des Palestiniens qui, eux, sont restés sur leurs terres après 1948 et qui ont aujourd'hui la nationalité israélienne.
Dans un champ proche de Haïfa (nord d'Israël), Bakar Fahmawi pointe la caméra de son portable sur un bâtiment ottoman abandonné.
Depuis cinq ans, toutes les semaines, il filme un village ou une zone abandonnée et poste la vidéo sur Facebook pour la partager avec les Palestiniens à travers le monde.
"Ceux qui sont partis ont entendu parler de leur pays, mais ils ne l'ont jamais vu", dit-il à l'AFP par téléphone. "Je le fais pour qu'ils n'oublient pas leur pays et pour qu'ils sachent qu'ils ont un pays, le plus beau du monde".
Dans la bande de Gaza, hermétiquement close par les blocus israélien et égyptien, internet est quasiment le seul lien avec l'extérieur.
Gaza est depuis le 30 mars le théâtre d'une mobilisation massive au nom du "droit au retour", au cours de laquelle plus de 50 Palestiniens ont été tués par l'armée israélienne. Cette dernière dit défendre les soldats et le territoire israéliens.
La protestation devrait dangereusement culminer autour des 14 et 15 mai.
Shayma Abeed, 16 ans, n'a rien connu d'autre que Gaza. Mais elle conserve la clé de la maison de son grand-père à Al-Jiyya, à 19 kilomètres au nord de Gaza, vidée en 1948.
"(Papi) aimait nous parler d'Al-Jiyya, de ses amis, du travail à la ferme et de notre maison, chaude en hiver, fraîche en été", dit-elle. "Nous rentrerons chez lui un jour", promet-elle.
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