"Ici au Luxembourg, on parle de 2.000 usagers de drogues fortes. Pour un pays qui compte 600.000 citoyens, c'est beaucoup", explique à l'AFP Patrick Klein, le directeur de l'Abrigado, un mot qui signifie "à l'abri" en portugais.
Ce bâtiment en préfabriqué de 1.200 m² a ouvert en 2005 dans l'ancien quartier portugais de la capitale. Il comprend une salle de consommation, un centre d'accueil de jour avec un service médical et un asile de nuit de 42 lits. La fréquentation a doublé dans la salle de shoot entre 2011 et 2016 à plus de 57.000 visites, avec une moyenne de quelque 160 actes de consommation par jour.
"Ça marche bien, on a toujours du matériel propre. La chance de choper une maladie est minimisée", se félicite Patrick Steffen, 54 ans, un client de l'Abrigado.
Les échanges de seringues - usagées contre stérilisées, afin de favoriser une meilleure hygiène - y ont progressé de 25% en 2016, alors que l'usage de drogues par voie intraveineuse demeure le troisième mode de contamination du sida au Luxembourg. La ministre luxembourgeoise de la Santé, Lydia Mutsch, insiste sur le fait que "presque 50% des usagers consomment par inhalation", une pratique jugée à "moindre risque".
"Esprit de famille"
"Ici il y a un esprit de famille" et "des liens se créent" avec le personnel au fil du temps, renchérit un utilisateur venu de France, Thierry Yavo, 41 ans.
Mais, déplore le directeur de l'Abrigado, "on arrive à nos limites en termes de capacité d'accueil" pendant les sept heures d'ouverture quotidiennes. M. Klein dénonce un "tourisme social" à l'Abrigado, où la part des usagers en provenance des ex-pays du Bloc soviétique est croissante. Ils représentent 20% des derniers inscrits, selon lui.
"Il y a beaucoup de nouveaux depuis que les frontières sont ouvertes", confirme le toxicomane Patrick Steffen. Des migrants "viennent aussi", dit-il: des migrants économiques mais aussi "ceux qui fuient l'Etat islamique."
Le directeur de l'Abrigado assure qu'une structure comme la sienne ne génère pas de nouveaux consommateurs: en matière d'usage de drogues, "la moyenne d'expérience de nos usagers lors du premier accueil dans notre salle, c'est douze ans."
Cet Allemand basé au Luxembourg a conseillé le ministère de la Santé français et travaillé à la mise en place de la salle de shoot parisienne Gaïa, dans le 10e arrondissement.
"Zéro décès"
"Notre chiffre-clé, c'est zéro: zéro décès de toxicomane dans notre institution", insiste M. Klein. Un pari réussi à ce jour grâce notamment à la présence quotidienne d'un infirmier et à la visite d'un médecin généraliste trois fois par semaine. En 2016, 69 cas de surdose ont été recensés à l'Abrigado, dont 29 avec perte de conscience, selon le rapport annuel de l'institution.
Pour profiter de la salle de shoot, les usagers doivent s'identifier et signer un contrat d'utilisation: ils s'engagent à respecter le règlement intérieur et, en cas d'infraction, les sanctions vont d'un jour à une semaine d'exclusion. La collaboration est également de mise avec les autorités.
"Après 13 ans, je peux vous dire que c'est peut-être la +best practice+ pour l'Europe", affirme M. Klein.
"Tous les deux mois, on a une rencontre avec un groupe pilote composé notamment de la police, du parquet, des douanes, du ministère de la Santé. J'ai l'obligation de leur présenter des chiffres sur ce qu'on fait ici", détaille-t-il.
Il existe près d'une centaine de salles de shoot ou "Salles de consommation à moindre risque" en Europe. La Suisse a montré l'exemple en ouvrant la première en 1986 à Berne, et en compte 13 aujourd'hui. Allemagne, Espagne et Pays-Bas ont suivi le mouvement dans les années 90. Les Pays-Bas comptent 37 salles de shoot, un record dans l'UE. En Belgique, une première salle pourrait ouvrir bientôt à Liège - le Parlement de Wallonie en a voté le principe en avril. Le Portugal, qui a dépénalisé en 2001 l'usage de drogues, prévoit lui deux installations fixes et une unité mobile d'ici la fin de l'année.
Davantage de salles
"Il y a quand même un accord avec les flics", observe Jean-Charles, un toxicomane de 46 ans: "on peut consommer ici sans risquer d'avoir des agents qui débarquent pendant qu'on consomme, éventuellement même de perdre notre dose ou quoi que ce soit à cause du fait que c'est illégal..."
L'Abrigado fonctionne avec un budget annuel de 2,7 millions d'euros, financé par le ministère luxembourgeois de la Santé et la ville de Luxembourg.
Et l'Etat a alloué 2 millions d'euros pour ouvrir une deuxième salle de shoot d'ici la fin de l'année à Esch-sur-Alzette, près de la frontière avec la France. Indépendante de l'Abrigado, elle sera gérée par une fondation spécialisée dans l'aide aux jeunes et aux toxicomanes, "Jugend an drogenhëllef". Le directeur de cette fondation, Jean-Nico Pierre, plaide déjà pour la création de deux autres salles, à Luxembourg-ville et dans le nord du pays.
Mais la mise en place de telles structures "est très complexe, c'est un processus de longue haleine", relève la ministre Lydia Mutsch, "très fière" de ce qui a déjà été accompli au Grand-Duché.
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