"Arméniens! Arméniens!": au micro, Narek bat le rappel avant d'entamer un tube qui parle du quotidien dans les rues de Erevan. Au fond de la salle, Edouard Eghoian voit dans les paroles du rapeur aux lunettes et à la fine barbe un appel à l'"espérance".
"Ce rap vient du plus profond de notre âme et parle de nos galères", explique le jeune ingénieur en informatique. Et à l'en croire, la "plus grosse galère de l'Arménie aujourd'hui, c'est la corruption".
L'Arménie pointe d'ailleurs à la 107e place sur 180 dans le classement de Transparency International sur la perception de la corruption.
Karen Vardanian, 23 ans, ne voit rien à redire aux textes scandés par Narek, il est même fan. Sauf que ce soir, il est resté à l'extérieur du Downtown Club. "Le billet coûte 10.000 drams (environ 17 euros), c'est trop cher", dit-il.
Karen a fait ses comptes. Il gagne 175.000 drams par mois (environ 300 euros) comme concepteur de sites internet, mais paye 260.000 drams pour étudier chaque année (environ 450 euros). "Et pourtant, je suis inscrit à l'université publique!", fulmine-t-il.
Alors, comme nombre d'Arméniens, Edouard et Karen ont mis tous leurs espoirs en Nikol Pachinian, député d'opposition de 42 ans qui pourrait être élu Premier ministre par le Parlement mardi, un poste doté de pouvoirs étendus depuis une révision constitutionnelle.
"Il n'y a pas d'alternative et j'attends beaucoup de lui", explique Karen.
"Les Arméniens ne croient plus en l'avenir"
Barbe poivre et sel et voix éraillée, Nikol Pachinian joue la carte du "candidat du peuple". Arborant la plupart du temps un t-shirt style "camouflage militaire" et une casquette noire, il s'adresse quasiment chaque jour à ses sympathisants via des vidéos postées sur Facebook, où il met l'accent sur l'"unité" de l'Arménie.
Il a vu sa popularité grimper en flèche grâce à des appels lancés à la mi-avril à manifester contre l'ancien président Serge Sarkissian. Jugeant que ce dernier n'a pas su faire reculer la pauvreté et la corruption pendant les dix ans qu'il a passés au pouvoir, plusieurs dizaines de milliers d'Arméniens ont répondu à ces appels.
Devenu pour quelques jours seulement Premier ministre, M. Sarkissian a démissionné le 23 avril sous la pression des manifestants. Nikol Pachinian a réclamé d'être élu Premier ministre par le Parlement, dominé par le Parti républicain de Sarkissian.
Mais le 1er mai, la candidature de Nikol Pachinian a été rejetée, le Parti républicain, qui dispose de la majorité absolue dans l'hémicycle, ayant fait bloc contre lui. Le lendemain, des dizaines de milliers de personnes ont paralysé Erevan pour protester.
Mercredi, M. Pachinian a toutefois créé la surprise en annonçant avoir obtenu le soutien de l'ensemble du Parlement pour son élection à la tête du gouvernement, désormais fixée au 8 mai.
Dans l'attente du scrutin, Erevan a retrouvé ses airs de grande ville provinciale. Dans les rues, aucune affiche, aucun slogan, aucune manifestation.
A l'université d'Etat d'Erevan, les cours ont repris à l'ombre des saules pleureurs et Sirarpi Ohanyan, étudiante en relations internationales de 22 ans, se dit confiante dans l'issue du vote.
Nikol Pachinian "est le seul qui puisse faire gagner l'Arménie", assure-t-elle. Et d'évoquer cet autre mal qui ronge son pays: "la classe moyenne est très réduite. Il y a peu de monde entre les très riches et les très pauvres".
"Les Arméniens ne croient plus en l'avenir", conclut-elle.
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