Elle est restée là, dans cet abri anti-retombées radioactives, maigre rempart aménagé comme des dizaines d'autres à travers Washington lorsqu'en pleine Guerre froide, toute l'Amérique se préparait à la possibilité d'un cataclysme nucléaire.
"C'est une véritable capsule temporelle", s'émerveille le conservateur, en ouvrant le couvercle d'une barrique noire en métal. "Provisions de survie. Fournies par le bureau de la défense civile. Ministère de la Défense" peut-on lire sur le tonneau contenant encore sa précieuse cargaison: plus de 60 litres d'eau.
Des rires d'enfants réunis dans la cantine au-dessus arrivent à peine étouffés par les conduits de ventilation jusqu'au sombre sous-sol de l'école Oyster-Adams, à 2,5 kilomètres au nord de la Maison Blanche. C'est ici qu'avait été installé cet abri censé protéger plus d'une centaine de personnes des retombées nucléaires si une bombe atomique était lâchée sur la capitale.
Trois triangles jaunes inscrits dans un cercle dont la peinture noire s'est effacée: à l'entrée de cette grande école en briques rouges, un panneau indique encore la présence de l'abri. Joyau pour les passionnés de cette époque, c'est l'un des rares, sinon le seul à Washington, à encore renfermer les provisions méticuleusement entreposées il y a plus de 50 ans.
"Peur bien réelle"
Construction du Mur de Berlin, perfectionnement des missiles balistiques intercontinentaux soviétiques et américains: face à l'intensification du face-à-face USA-URSS, le président américain John F. Kennedy annonce en 1961 qu'il va mobiliser des fonds pour habiliter de tels refuges publics.
A partir de 1962, l'année de la crise des missiles de Cuba, des vivres commencent à être stockés dans les sous-sols d'immeubles, écoles et églises censés offrir un "facteur de protection" suffisant.
Siège du pouvoir américain, la capitale fait l'objet d'une attention toute particulière, à coups d'exercices grandeur nature, y compris l'évacuation du président. Sur la seule colline du Capitole, les bâtiments officiels sont aménagés pour accueillir quelque 36.000 personnes.
"15/4/64" et "23/4/64": Sur les murs de l'abri de l'école Oyster-Adams, on peut encore lire nettement les dates indiquant quand les dizaines de barriques d'eau toujours empilées ont été remplies.
Bandages et manuels d'instructions médicales sortent de cartons éventrés posés à même le sol poussiéreux mais les sédatifs empaquetés à l'époque pour éviter la panique parmi les réfugiés ont disparu. Restent aussi plusieurs barils en carton dotés de cuvettes amovibles qui auraient dû chacun servir de toilettes à 25 personnes.
Contre un mur, des cartons débordent encore de milliers des fameux "biscuits de survie".
Secs et poussiéreux, à peine mangeables mais (en théorie) encore comestibles, ces crackers témoignent des décennies écoulées depuis l'époque où ils ont été déposés ici, quand la ville était hantée par "une peur bien réelle", explique David Krugler, professeur d'histoire à l'université de Wisconsin-Platteville et auteur d'un ouvrage de référence sur cette période.
Abris "inutiles"
Avec quelque 700 calories par jour, les autorités avaient pris soin de calculer la quantité de provisions nécessaires pour assurer la survie des habitants pendant deux semaines. Des efforts vains, juge David Krugler.
"Si les Etats-Unis et l'Union soviétique s'étaient lancés dans une guerre nucléaire, Washington aurait été complètement détruite et cet abri aurait été inutile, détruit dès les premiers effets d'une détonation atomique".
"La raison principale (derrière l'aménagement des abris) était que les habitants voulaient être rassurés en pensant qu'ils pourraient survivre à une guerre nucléaire", analyse-t-il. Les refuges "étaient également utiles pour les autorités car ils rendaient l'existence des armes nucléaires plus facile à accepter".
Avec la période de détente entamée en 1963, les abris tombent peu à peu en désuétude et au début des années 1970, leurs administrateurs volontaires reçoivent même l'ordre de les vider.
"Pour une raison qu'on ignore, celui-ci a été laissé intact", s'étonne Frank Blazich, dans la lumière blafarde du sous-sol.
Menace de répandre "le feu et la fureur", course au plus gros bouton nucléaire puis fragile détente entre deux puissances atomiques: après l'élection de Donald Trump en 2016, les Etats-Unis ont plongé dans un climat pouvant rappeler la Guerre froide.
Même si les tensions n'étaient pas "au niveau de celles de la crise des missiles de Cuba", estime David Krugler.
"Est-ce que les habitants prennent les discours du dirigeant nord-coréen et de notre président ou d'autres élus au sérieux en matière d'une guerre nucléaire potentielle? Absolument", affirme Frank Blazich. "Mais je ne crois pas qu'ils soient allés jusqu'à imaginer ce qu'il se passerait si ces armes étaient employées."
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