Tout commence par un souvenir d'enfance, raconté à un collègue, de Pierre-Arnaud de Labriffe, un archéologue dont la famille avait accueilli dans le parc de son château, à Gambais, le tournage de ce film chatoyant inspiré du conte de Charles Perrault.
Féru de l'œuvre du cinéaste, son confrère Olivier Weller se lance en 2012 dans une saison de prospection archéologique. Puis, chaque année pendant quatre ans, des bénévoles viennent gratter le sol du parc du château de Neuville, à la recherche de ce qui reste du tournage. Un documentaire, "Peau d'Âme", retrace cette enquête insolite.
Dans ce coin de forêt, entre arbres et fougères, se trouvait la cabane où la princesse (Catherine Deneuve) se réfugie après avoir fui son père (Jean Marais), qui veut l'épouser. Elle y confectionne le gâteau destiné au prince (Jacques Perrin) qui l'épousera, et va, non loin, rencontrer sa marraine, la Fée (Delphine Seyrig).
Sur cette zone de 100 m², au fil des recherches, l'équipe composée d'étudiantes en archéologie et en cinéma met au jour quelque 4.000 pièces: une multitude de clous utilisés pour les décors, des fragments d'ampoules de projecteurs, des petits diamants tombés de la robe "couleur de soleil" portée sur le tournage par Catherine Deneuve.
Ces objets, qui seront conservées à la Cinémathèque, "racontent à la fois la technique du cinéma", mais aussi "le film, la fiction" et "la vie courante d'une équipe de 35 personnes pendant 9 jours" avec "des mégots, des fume-cigarettes, des capsules de bière, des bouteilles d'eau minérale", explique à l'AFP M. Weller, chercheur au CNRS.
Le but du projet, "c'était de montrer aussi que l'archéologie pouvait fouiller notre imaginaire" et qu'"on pouvait raconter une autre histoire du cinéma, non plus à travers les archives, les témoignages, les coupures de presse de l'époque, mais à travers les restes matériels", précise-t-il.
Il s'agit selon lui de la première fouille archéologique d'un lieu de tournage en Europe.
Les services régionaux du ministère de la Culture se sont d'ailleurs déclarés incompétents face à la demande officielle de fouilles adressée par l'équipe, estimant qu'elle n'entrait pas dans le champ de l'archéologie.
Hommage à Demy
En lançant le chantier, l'archéologue s'est associé avec un réalisateur, Pierre Oscar Lévy, qui a filmé le cheminement du chantier: des relevés topographiques de la prospection à la découverte de la plus grande pièce de la collection, la structure d'un grand miroir appartenant au décor.
Le long-métrage montre les hésitations de l'équipe, par exemple autour de la datation de rasoirs abandonnés dans les feuilles mortes... "C'est ça la science: ce n'est que du tâtonnement", souligne M. Weller, qui souhaitait rendre visible "comment on arrive" aux résultats présentés dans des articles scientifiques.
La recherche s'est appuyée sur des documents d'archives confiés par la famille Varda-Demy et sur les souvenirs de certains témoins de l'époque.
"Je n'étais jamais retournée à Gambais", a raconté à l'avant-première jeudi à Paris Rosalie Varda, fille de Jacques Demy, qui était venue sur le tournage à 12 ans pendant ses vacances scolaires. Coproductrice, elle voit dans le film "une sorte de recherche de notre propre mémoire".
Le long-métrage "fouille" aussi "un conte de fée" en allant à la rencontre de chercheuses - anthropologue, psychanalyste, linguiste - pour cerner le conte de Charles Perrault, qui date de 1694.
Mais au-delà d'un film scientifique, "Peau d'Âme" est un "hommage à Demy", avec une narration en forme de conte et des chansons fredonnées par les archéologues. Traversé en permanence par des extraits du film, le documentaire se devait d'être "aussi merveilleux", estime son réalisateur.
Si le film est sorti dans un cinéma parisien et en DVD vendredi, une autre campagne de fouilles est déjà prévue pour l'été 2018.
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