Avec six poubelles de différentes couleurs soigneusement alignées dans la cuisine commune, la société d'ingénierie Sinteo, basée à Paris, a sauté le pas. Sa soixantaine de salariés séparent le papier, les canettes, bouteilles en plastique, stylos, bouchons, piles, ampoules, le verre et même le marc de café.
"C'est le paradis du tri", plaisante l'une d'elle, Laure, "contente" de cette mesure. Cela "prouve que l'entreprise est engagée", apprécie-t-elle, assurant que les employés jouent le jeu même si le tri est parfois approximatif.
Depuis mars 2016, une grande partie des sociétés et administrations doivent séparer les papiers, cartons, verres, métaux, plastiques et bois du reste de leurs poubelles. Dans le détail, toutes celles dont les déchets sont collectés par un prestataire privé sont concernées, ainsi que celles dont les ordures sont ramassées par la collectivité et qui génèrent plus de 1.100 litres/semaine, soit la production moyenne d'une cinquantaine de personnes.
Et depuis début 2018, toute entité de plus de 20 salariés de bureau doit trier le papier.
Mais des entreprises et des collectivités restent hors la loi. "Sur des petites entreprises (...), il y a des difficultés de mise en oeuvre. (...) Toutes n'ont pas fait les investissements nécessaires pour satisfaire l'obligation du tri cinq flux", reconnaît-on au ministère de la Transition écologique.
Pratiquer le tri entraîne un surcoût et une plus grande logistique pour les sociétés, surtout les plus modestes. A partir d'un certain volume, le tri "peut être une source de revenus" car le collecteur paye pour les matières récoltées, explique Mathieu Petithuguenin, directeur délégué du groupe de recyclage Paprec.
Mais "la contrainte n'étant pas très forte, sans inspecteur sur le terrain pour vérifier si c'est mis en place, les gens ne se sentent pas le couteau sous la gorge", constate-t-il.
'Limiter le gaspillage'
"Il faut déjà mettre en place un suivi" estime Muriel Olivier, vice-présidente de la Fédération nationale des entreprises de la dépollution et de l'environnement (Fnade). Aujourd'hui, personne ne sait précisément combien de sociétés et d'administrations sont concernées par la loi et comment elle est appliquée.
Les poubelles des professionnels constituent pourtant un gisement important pour le recyclage. Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), 20 millions de tonnes de leurs déchets, sur près de 64 millions (hors BTP et agriculture) aujourd'hui incinérés ou enfuis, pourraient être facilement triés.
La nature exacte de ces déchets qui échappent au recyclage n'est pas connue. Mais le papier représente un gros morceau, puisque chaque employé de bureau consomme entre 70 à 85 kg de papier par an, soit trois ramettes par mois.
Les déchets alimentaires constituent une autre piste de choix de valorisation des résidus. L'Ademe chiffre le gaspillage alimentaire à 21 kilos par personne et par an. Depuis 2016, les établissements jetant plus de 10 tonnes de bio-déchets par an - un volume atteint par exemple dans un restaurant fournissant 150 repas journaliers - doivent récolter à part la nourriture qui reste dans les assiettes.
Tous ne le font pas encore mais les choses bougent, constate Jérôme Perrin, président de la société Love your waste, qui collecte des bio-déchets dans des restaurants, des cantines scolaires ou encore des brasseurs en région parisienne. La start-up en tire ensuite du gaz de ville via la méthanisation. "On sent une tendance lourde à vouloir moins gaspiller", dit-il.
Cette tendance devrait s'accélérer car d'ici à 2025, la quantité de déchets acceptés en décharge devra être divisée par deux par rapport à 2010 et le gouvernement prévoit le tri des biodéchets pour tous, particuliers inclus.
"En limitant l'enfouissement, l'Etat va le renchérir" et rendre le recyclage économiquement plus intéressant, espère le directeur de l'Observatoire Régional des déchets d'Ile-de-France (Ordif), Helder de Oliveira.
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