Après plusieurs siècles sur l'Ile de la Cité, le tribunal s'est installé dans le quartier des Batignolles, dans une tour dessinée par l'architecte Renzo Piano culminant à 160 mètres, qui accueillera jusqu'à 9.000 personnes par jour.
"C'est beau", s'exclame une visiteuse, désignant à sa fillette les façades de verre, la transparence lumineuse de la salle des pas perdus, encadrée d'escaliers mécaniques menant aux quatre étages des salles d'audiences.
Au deuxième étage, salle 12, s'est tenue la première audience en référé (en urgence), une affaire d'hypothèque qui a attiré une foule inhabituelle de magistrats et journalistes.
L'avocate plaide brièvement son dossier, le président met sa décision en délibéré. Puis lui dit: "Vous avez fait un voeu? Parce que c'est la première des premières audiences dans ce palais".
L'avocate sourit. "Après 40 ans de barreau", Danielle Beaujard, spécialiste des saisies immobilières, était surtout "émue de quitter l'ancien palais" et sa "très belle chambre des Criées" où se tenaient les enchères.
"On va s'habituer, j'imagine. Le gros point noir, ce sont les transports. Il n'y a pas de parking et le métro est bondé. J'ai cru que je n'arriverai jamais à temps pour l'audience", relève-t-elle.
"Badger partout"
Au rez-de-chaussée du pôle civil, un café-croissant est offert aux magistrats et greffiers qui défont leurs cartons.
"C'est l'excitation de la rentrée des classes", sourit Henriette, une greffière, qui vient de découvrir son bureau du 36e étage.
"Pour la première fois, je vais avoir un bureau individuel, avec la lumière du jour", s'émerveille une juge, qui regrette toutefois un "espace très cloisonné", où les univers - les détenus, les justiciables, les magistrats - ne se croiseront plus jamais par hasard. "Il faut badger partout."
Ce qui les heurte tous un peu est cette absence revendiquée des symboles de la Justice. A peine une discrète balance est-elle dessinée sur un mur des salles d'audience, mais rien ne distingue la salle des pas perdus d'un "centre commercial", regrette Henriette.
L'architecte a voulu "détruire" les anciens symboles" pour favoriser une proximité bienveillante. Le procureur François Molins y voit l'avènement "d'une justice à la fois plus efficace, plus humaine et plus accessible".
"C'est propre, c'est très bien fait", estime Mamoudi, qui patiente devant les guichets de l'aide juridictionnelle déjà pris d'assaut, où les justiciables les plus démunis peuvent bénéficier de l'assistance d'un avocat. Maryam, jeune mère de famille, se félicite de ne s'être "pas perdue".
A l'entrée du public, il manque encore des lettres aux articles de la Déclaration des droits de l'Homme inscrits sur les murs. Le téléphone ne passe pas partout et tous les badges ne fonctionnent pas, mais tout le monde est indulgent.
"Après quatre ans de travail acharné, nous sommes au rendez-vous. Le paquebot prend la mer sans problème particulier", se félicite le président du tribunal de grande instance, Jean-Michel Hayat.
La montée en puissance sera progressive: après le civil, les audiences correctionnelles débuteront la semaine prochaine et mi-juin, les tribunaux d'instance des vingt arrondissements de Paris auront intégré "les Batignolles".
Outre "les critiques sur les transports", le président Hayat sait qu'il affrontera un premier test le 23 avril, avec les premières audiences en comparution immédiate, dans des salles où les avocats demandent le démantèlement des boxes vitrés au nom de la présomption d'innocence.
"On est en plein bras de fer, a prévenu la bâtonnière Marie-Aimée Peyron, qui arpentait les couloirs dès 9H00. A part pour quelques audiences spécialisées, comme le terrorisme ou le grand banditisme, partout ailleurs, les cages de verre doivent être démontées. Si elles sont encore là la semaine prochaine, ça va être chaud".
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