"J'ai du mal à dormir", confie une greffière qui travaille depuis 1979 dans ce cadre d'exception: un labyrinthe aux 24 kilomètres de galeries, un petit bout d'histoire de France.
Depuis des mois, les couloirs du Palais de l'île de la Cité, où justice est rendue depuis des siècles, du procès de Marie-Antoinette à celui du groupe libertaire de Tarnac, bruissaient de ce déménagement vers des locaux plus fonctionnels.
Des mois que chacun affichait une moue mi-amusée, mi-contrite, lorsque le tribunal renvoyait une affaire au-delà des vacances de printemps.
En février, le président de la 17e chambre s'était esclaffé, rigolard, devant les mines déconfites des avocats: "Eh ben non ! Ce sera +là-bas+ ! On a l'impression qu'on parle d'un territoire maudit...!"
Bientôt le Palais n'abritera plus que la cour d'appel et la Cour de cassation. Alors que se déploie le ballet des camions de déménagement, nombre de ses occupants décrivent à l'AFP "une page qui se tourne".
Le "poids des années"
C'est "un choc de civilisations, on passe de ce lieu millénaire à un vaisseau spatial", dit la greffière. "J'ai l'impression qu'il faut qu'il y ait le poids des années pour que la justice ait une légitimité..."
"Il y avait une âme, ici", abonde Claudine, au parquet, qui soupire à l'idée de quitter ces vieux murs où elle a "rencontré son mari gendarme".
Le nouveau Palais construit par Renzo Piano, un élégant gratte-ciel tout en transparences en bordure du périphérique parisien, suscite un peu de méfiance. "Aseptisé", des airs de "hall de gare", "des bureaux plus petits", glisse-t-on, "mais on n'a pas le choix".
A l'heure du départ, la nostalgie éclipse sa raison d'être: des locaux se voulant plus pratiques, plus lumineux, des salles d'audiences mieux équipées, pour une justice "au service du justiciable".
"C'est ça", raillent des greffières du tribunal correctionnel, qui craignent que ce lieu ultra-sécurisé n'enferme greffiers et magistrats dans une tour d'ivoire. Ceux-ci auront leurs propres couloirs: "On ne croisera plus les +vrais gens+", dirigés vers un guichet unique.
Sans compter d'autres préoccupations moins rationnelles. "Ce qui me fait le plus flipper", glisse une fonctionnaire à une collègue, "c'est de me retrouver perchée là-haut, genre incendie ou 11-Septembre..."
Certains pestent aussi de voir leur temps de trajet professionnel parfois doublé. Quelques-uns ont prévu le coup: "J'ai déménagé à côté, figurez-vous", raconte une magistrate en marge d'une audience.
"Il y avait urgence"
Il y a aussi les philosophes. Comme Patricia, au parquet de Paris, qui derrière ses piles de cartons espère que le déménagement lui permettra de "se détacher doucement avant la retraite": "J'ai toujours été raide dingue de cet endroit-là".
D'autres, enfin, se réjouissent franchement: les "mal-logés", qui travaillent dans des espaces étriqués ou vétustes. C'est le cas de Caroline, sans bureau fixe faute de place, qui pourra bientôt "se poser" dans un endroit moins encombré.
La cour d'appel, impatiente, attend de s'approprier les espaces libérés. "Il y avait urgence à nous regrouper, à avoir une surface rationalisée", décrit une magistrate du pôle social, pour l'heure "complètement disséminé" sur plusieurs sites.
"Le déménagement, c'est forcément une bonne chose, on ne pouvait pas rester comme ça", résume Anne-Marie Sauteraud, qui fut longtemps juge au TGI.
Désormais à la cour d'appel, dans son bureau avec vue sur la Sainte-Chapelle, elle reconnaît en souriant: "Mais je suis très contente de rester ici !"
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