Les deux belligérants, qui revendiquent tous deux ce vaste territoire montagneux à population majoritairement musulmane et se sont déjà livré deux guerres à son sujet, s'étaient tenus relativement tranquilles pendant une décennie après le dernier cessez-le-feu en date, qui remonte à 2003.
Mais le nombre d'incidents à la frontière n'a cessé de croître depuis la mi-2016, à mesure que se dégradent les relations entre les deux pays. Selon l'Inde, il est passé de 152 en 2015 à 860 en 2017 et atteint 351 au cours des seuls janvier et février 2018.
Le Pakistan en déplore davantage encore: 1.970 en 2017, contre 168 deux ans plus tôt, et 415 au 8 mars dernier. Des chiffres jugés crédibles par plusieurs experts interrogés.
"Je n'ai jamais vu une telle intensité dans les bombardements des troupes indiennes", se lamente Mohammad Siddique, un Pakistanais de 70 ans, devant le rideau de fer de sa petite épicerie, constellé de trous de shrapnels.
Sa maison de Madarpur n'est plus que ruine après qu'un obus a atterri dans son couloir. "Je dois tout reconstruire, ce n'est pas réparable", peste-t-il.
Le ressenti est identique de l'autre côté de la Ligne de contrôle (LOC), cette "frontière" de 740 km séparant l'Azad Cachemire (Pakistan) du Jammu-et-Cachemire (Inde). Fin février, les habitants du district d'Uri affirment avoir échappé à "une pluie d'obus" venus du Pakistan.
"C'est le pire échange auquel j'aie assisté de ma vie. Plus féroce encore qu'avant le cessez-le-feu" de 2003, affirme Mushtaq Ahmed, un fonctionnaire de 38 ans joint par téléphone par l'AFP.
"Fuir"
"J'ai dû fuir pour sauver mes deux jeunes enfants, ma femme et mes vieux parents", raconte M. Ahmed, dont les deux maisons ont selon lui été fortement endommagées.
New Delhi déplore 99 morts depuis 2015, pour moitié des militaires, et 571 blessés.
"Nous vivons dans la peur", témoigne Zahoor Ahmed, 26 ans, à Silikote, au Cachemire indien. "Je n'ai jamais vu une telle horreur pleuvoir du ciel", ajoute cet homme, qui dit "entendre des tirs presque tous les jours" venant du Pakistan.
Islamabad recense de son côté 124 morts et 519 blessés chez les seuls civils sur la même période.
Inzaman figure parmi les récentes victimes. "Il travaillait avec moi quand il a été touché par un sniper", sanglote son père Muhammad Amin, un ouvrier pauvrement vêtu de 52 ans, durant les funérailles dans son village de Tatrinote.
Les autres habitants du village, quand ils n'ont pas fui, se terrent chez eux. Les véhicules sont rares, craignant d'être pris pour cible.
Politiquement, le conflit du Cachemire reste entier et le dialogue au point mort entre les deux puissances nucléaires.
La tension est également alimentée par l'insurrection séparatiste qui déstabilise le Cachemire indien depuis la fin des années 1980, et a fait des dizaines de milliers de morts, dont une vingtaine le 1er avril. New Delhi accuse régulièrement le Pakistan d'attiser ce mouvement, ce que ce dernier dément.
Les deux armées se renvoient la balle. "Les violations du cessez-le-feu cette année et la précédente sont les plus élevées (depuis 2003). Aucune d'entre elle ne reste impunie", assure à l'AFP un gradé indien, sous couvert d'anonymat.
"Nous répondons toujours pour dissuader l'autre partie de recommencer", renchérit le général Muhammad Akhtar Khan, commandant des troupes pakistanaises au Cachemire.
"Calcul politique"
Le contexte politique respectif des deux pays pèse aussi dans la balance, avec des élections législatives prévues cet été au Pakistan et en 2019 en Inde.
"Dès qu'il y a une quelconque activité politique en Inde, le leitmotiv est de s'en prendre au Pakistan", affirme le général Akhtar Khan.
Pour Happymon Jacob, spécialiste indien du Cachemire, "la haine est utilisée par les deux gouvernements. C'est du calcul politique court-termiste", déplore-t-il. Aux yeux des autorités, "négocier, c'est être faible", regrette-t-il.
Quelque 500.000 soldats indiens seraient mobilisés au Cachemire, contre 50 à 100.000 militaires Pakistanais, selon des experts, Islamabad et Delhi refusant de communiquer leurs effectifs.
"L'ombre de la guerre s'élargit au-dessus de nos têtes", se désole Ershad Mahmud, un spécialiste pakistanais de la zone.
Si des conseillers en sécurité des deux pays se sont rencontrés discrètement fin décembre à Bangkok pour faire redescendre la pression selon des médias, les déclarations officielles restent belliqueuses.
En janvier le chef d'état-major indien Bipin Rawat a moqué le "bluff nucléaire" d'Islamabad, s'attirant une réponse acide du chef de la diplomatie pakistanaise Khawaja Asif.
A Islamabad, la crainte de "l'escalade" est réelle au sein de la communauté diplomatique étrangère.
Aucun pays ne se risque pourtant à aborder le sujet, sur lequel l'ONU reste muette, malgré la présence depuis 1948 d'une mission d'observateurs des deux côtés de la frontière.
"Ce n'est pas la question du Cachemire qui est en jeu, c'est la stabilité de la région", observe un diplomate occidental, qui se désespère d'une "situation inextricable" figée par la menace nucléaire et le refus du monde entier de se brouiller avec l'Inde et son milliard de consommateurs.
"Dans un tel contexte, estime-t-il, la communauté internationale sait que moins elle fera de bruit sur le Cachemire, moins il y aura de morts."
burs-jf/ahe/neo
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