Seule sous son misérable abri fait de bâches en plastique dans un camp de déplacés, cette veuve de 44 ans a craqué pendant la dernière saison des pluies, qui a transformé le sol en torrents de boue et libéré l'odeur pestilentielle de latrines inondées.
"Quand j'ai pensé à la vie de mes proches et à leur mort, j'ai décidé de prendre ma propre vie", sans toutefois y parvenir, explique-t-elle, laconique, les yeux emplis de larmes.
Les récits comme celui d'Ayak sont de moins en moins rares dans ce camp de 24.000 déplacés, situé à quelques encablures de Malakal (nord), qui était autrefois un centre économique florissant avant de devenir une ville fantôme par la faute des combats.
En 2017, 31 personnes - 15 femmes et 16 hommes - ont tenté dans ce camp de mettre fin à leurs jours. Six y sont parvenus, contre quatre en 2016, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
C'est que la paix semble plus éloignée que jamais après la violation d'un énième cessez-le-feu en décembre, et nombreux sont ceux à avoir perdu espoir face à ce conflit qui a fait des dizaines de milliers de morts et quelque quatre millions de déplacés depuis son début en décembre 2013.
Comme dans d'autres camps de déplacés, la vie privée n'existe pas dans le camp de Protection des civils (PoC) de Malakal, et ses pensionnaires, qui dorment souvent sur de simples carpettes dans des abris surpeuplés, redoutent l'arrivée de la prochaine saison des pluies, prévue dans deux mois.
Leurs maisons ne sont pourtant situées qu'à quelques kilomètres du camp, dans la ville, mais les déplacés ne sortent pas ou peu de l'enceinte protégée par les Nations unies, en raison de l'insécurité.
"Des gens sont arrivés au PoC alors qu'ils étaient des enfants. En vivant ici, ils deviennent adultes, et regarder vers l'avenir les désespère", déplore Raphael Capony, qui dirige les opérations du Conseil danois pour les Réfugiés au Soudan du Sud.
"Fardeau"
Une étude menée au Soudan du Sud par le Centre national pour l'information biotechnologique, une organisation américaine, a montré que 40% des personnes examinées présentaient des symptômes de stress post-traumatique.
"Il faut une accumulation de beaucoup de problèmes avant qu'une personne tente de se suicider", remarque Raimund Alber, spécialiste de la santé mentale chez Médecins sans frontières. Dans les camps, "les conditions de vie, le manque de variété de la nourriture et la difficulté du confinement peuvent y contribuer".
"C'est un fardeau important de n'avoir aucun espoir de changement", ajoute-t-il.
Pour Muthoni Wanyeki, d'Amnesty International, si les morts et la destruction sont visibles partout au Soudan du Sud, "les cicatrices psychologiques, elles, sont moins visibles et négligées".
Mais Ayak et une dizaine d'autres survivants se sont donné une seconde chance à Malakal. Ayak fait désormais partie d'un groupe de veuves et bénéficie de l'aide d'un centre de soutien psychologique créé par l'OIM et ses partenaires pour faire face à une hausse des tentatives de suicide, dans un pays qui compte extrêmement peu de spécialistes de la santé mentale.
"C'est surtout depuis 2017 que nous avons vu les tentatives de suicide augmenter. On a alors lancé une campagne de prévention", relate Dmytro Nersisian, un psychologue de l'OIM travaillant à Malakal.
Des personnes de tous les âges ont tenté d'en finir, précise-t-il.
"Pas seul"
James, 32 ans, a failli commettre l'irréparable. Réfugié dans le camp de Malakal avec sa famille après l'attaque de sa maison en 2014, il assure avoir "pensé au suicide pendant deux ans".
Puis "la situation a empiré. Je n'avais presque plus de nourriture. J'ai décidé que ça suffisait", raconte-t-il à l'AFP.
"Mais un ami m'a trouvé avant que je puisse faire quoi que ce soit. Nous étions assis sur le sol et j'ai commencé à pleurer."
Après avoir été conseillé et soutenu psychologiquement pendant un an, James veut désormais aider les personnes suicidaires et s'est porté volontaire auprès de l'OIM.
"J'utilise mon expérience pour leur parler" et tenter de les dissuader de passer à l'acte, raconte James, qui se souvient avoir été surpris en apprenant que le suicide existait partout dans le monde, et pas seulement au Soudan du Sud.
Ayak assure, elle, avoir retrouvé une raison de vivre, malgré des conditions difficiles.
"Je voudrais dire aux autres qu'il faut être patient", dit-elle, entourée de femmes veuves comme elle et portant un collier coloré. "La vie est dure ici, mais il ne faut surtout pas se dire qu'on est seul avec ses problèmes".
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