"J'ai changé mon identité, je suis devenu un autre homme en Europe. Il ne reste rien de mon ancienne vie." A 27 ans, le frêle jeune homme au teint pâle a trouvé refuge dans un pays qu'il garde secret, terme d'un périple clandestin jalonné de violences et d'angoisse.
De passage à Paris, sous le pseudonyme Adam, il raconte à l'AFP son histoire, "celle de beaucoup de gays" en Tchétchénie, république russe du Caucase, musulmane et conservatrice. Des ONG et des médias dénoncent régulièrement des persécutions contre les homosexuels: enlèvements et tortures menés selon eux par les autorités ou des groupes mafieux mais aussi "crimes d'honneur" commis au sein-même des familles.
Pour ce fils d'une famille de six enfants, à qui il a toujours caché son homosexualité, "les problèmes ont commencé quand j'ai voulu rencontrer des garçons", en 2012.
Alors âgé de 22 ans, il passe par des sites de rencontres. Mais à un rendez-vous, "trois personnes m'attendaient", raconte-t-il: "Ils m'ont jeté dans le coffre (de leur voiture) et m'ont emmené dans un endroit abandonné. Ils ont commencé à me frapper, à dire que j'étais la honte de la nation, à demander pourquoi ma famille ne m'avait pas tué. Je pensais qu'ils allaient me battre à mort." Ils l'abandonneront inconscient.
Après quelques semaines de convalescence chez un ami pour cacher ses blessures à sa famille, Adam reprend sa vie, hanté par la peur. Un ami lui présente un homme, tchétchène, qu'il dit digne de confiance. Mais l'homme enregistre à son insu des conversations évoquant son homosexualité.
Un jour, il débarque à son travail "avec des gens habillés en militaire". Ils le menacent: "Maintenant, tu vas travailler pour nous et balancer les gens comme toi, ou alors on donne la conversation à ta famille". "Ils m'ont aussi dit +Quand on aura besoin d'argent, tu nous en donneras+."
"J'ai dénoncé des innocents"
"Je ne voulais pas que ma famille soit au courant. Mes frères m'auraient tué ou frappé. (...) J'ai commencé à rencontrer des gens, à avoir des relations sexuelles avec eux. J'ai +donné+ deux personnes", confesse-t-il: "Je ne sais pas s'ils sont encore en vie".
Rongé par la culpabilité, il fuit en 2014 à Moscou, sans prévenir personne. Il y vit reclus, anonyme, croit-il.
Un matin, en partant au travail, il tombe nez à nez avec un groupe d'hommes. "L'un d'eux me dit: +Tu me reconnais pas?+. Je l'ai tout de suite reconnu, sa voix: c'est le gars qui avait enregistré mes conversations."
Ils le séquestrent chez lui, le frappent "pendant très longtemps". Il montre des photos de ses yeux tuméfiés puis ouvre sa bouche, dévoilant une partie de sa mâchoire sans dents, brisées par les coups.
A bout, il part pour l'Europe clandestinement. Aujourd'hui réfugié, Adam "commence à vivre à nouveau", même s'il ne se sent "pas totalement en sécurité".
"Je n'arrive pas à être en paix avec moi-même", ajoute-t-il: "J'ai dénoncé d'autres gens, même des innocents. J'y pense tout le temps."
En quête de rédemption, il exhorte aujourd'hui "les gays et lesbiennes de Tchétchénie et de Russie (à) partir au plus vite": "Ça ne va pas s'arrêter. Il n'y a pas de vie pour nous là-bas". Il veut étudier le droit pour défendre les homosexuels.
Il plaide aussi pour son ami Zelimkhan Bakaïev, chanteur populaire en Tchétchénie porté disparu depuis août et dont le sort reste incertain. Selon lui, "+Zelim+ est vivant".
A quelques semaines de l'anniversaire de son ami, il en appelle au président tchétchène Ramzan Kadirov, qui a démenti toute implication. "Il a promis (à la famille) qu'il aiderait dans les recherches, on espère le retrouver bientôt." Mais pour l'instant, "personne n'a enquêté".
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