Ici, dans ce centre de soins au coeur de la capitale turque, le personnel de santé est en partie constitué de réfugiés syriens qui, après une formation de quelques semaines gérée par le ministère turc de la Santé et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), ont été habilités à exercer leur métier d'origine afin de prendre en charge les réfugiés arabophones, dont une grande majorité de Syriens, dans un cadre qui se veut rassurant.
La Turquie accueille actuellement plus de 3,5 millions de réfugiés syriens, dont moins de 10% vivent dans des camps de réfugiés.
Le gouvernement turc a mis en place une "législation extrêmement progressiste pour les réfugiés", selon Félix Léger, en charge en Turquie de la santé pour ECHO, le service d'aide humanitaire de la Commission européenne, qui finance en partie ces formations.
"Un réfugié enregistré a les mêmes droits en termes d'accès à la santé et à l'éducation qu'un citoyen turc", explique-t-il.
Mais les barrières linguistiques et culturelles restent un obstacle majeur dans l'accès aux soins, et l'idée a germé que, dans les rangs des réfugiés, "il y a des infirmiers et des médecins qui peuvent avoir un rôle à jouer", poursuit M. Léger.
Théorie et pratique
La formation, lancée dans sept centres depuis janvier 2017, est relativement rapide: une semaine de cours théoriques, puis six semaines de cours pratiques pendant lesquels les médecins et infirmiers syriens suivent leurs homologues turcs lors de consultations.
Objectif: certifier les compétences de ces professionnels souvent arrivés en Turquie sans leurs diplômes. Ils peuvent ensuite exercer uniquement dans l'un des 99 centres de soins pour migrants que compte le pays.
A ce jour, plus de 800 médecins ont ainsi été recrutés.
Le Dr Nidal Arap, arrivé d'Alep en 2012, exerce depuis juin 2017 dans le centre médical pour migrants d'Ankara où défilent chaque jour environ 600 patients, selon lui.
"Comme (les patients) ne parlaient pas turc, (...) ils ne pouvaient pas expliquer au médecin ce qu'ils avaient, ce qu'ils voulaient. Désormais, ils peuvent venir ici, se faire soigner dans leur langue", explique-t-il.
Dans ce centre de soins, huit des dix médecins et dix des 13 infirmiers sont syriens.
Etablir la confiance
Le Dr Arap suit notamment le cas de la petite Ahed, avec qui un lien s'est immédiatement créé. "Son père aussi s'appelait Nidal", sourit le médecin. "La première fois qu'elle est venue, elle s'est accrochée à moi et n'a pas voulu me lâcher."
"Nous étions chez nous à la maison quand un avion a frappé, tuant mon mari et ma fille, et celle-ci (Ahed) a été blessée", raconte sa mère, Safa al-Hussein, pendant qu'Ahed joue avec des ballons donnés par le personnel du centre pour la rassurer pendant la consultation.
Après une première opération, le personnel hospitalier en Syrie a recommandé d'emmener la fillette à l'étranger pour la soigner. Safa et Ahed sont ainsi arrivées en Turquie il y a six mois et ont entendu parler de ce centre où travaillaient "de bons docteurs syriens". L'enfant y est suivie depuis.
"Maintenant (Ahed) peut marcher", sourit sa mère.
Les médecins syriens aident aussi lors des campagnes de vaccination pour enfants organisées par le ministère de la Santé et l'OMS.
"Ces campagnes se heurtaient par le passé à des problèmes de confiance entre les équipes médicales et les populations visées, des gens simples qui viennent des régions touchées par les conflits et qui ont peur", explique le Dr Mohammad Khattab, lui aussi originaire d'Alep et arrivé en Turquie fin 2015.
"La présence de médecins et d'infirmiers syriens aux côtés de nos confrères turcs a grandement contribué au succès de ces campagnes" de porte-à-porte, assure-t-il.
Tragédie commune
Un étage plus bas, dans le même bâtiment, un "lieu sûr" réservé aux migrantes leur prodigue un soutien psychologique et social. Là aussi, la confiance est un élément essentiel. Dans ce centre, l'attention est tout particulièrement portée sur les questions sexuelles et les violences faites aux femmes. Des sujets intimes, qu'il est compliqué d'aborder.
"Comme il n'est pas facile d'établir la confiance entre cette communauté et nous, nous avons des médiatrices de santé qui constituent un pont entre la communauté et le centre de soins", explique Duygu Arig, directrice régionale des programmes humanitaires au Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).
Ces médiatrices sélectionnées parmi les bénéficiaires du centre suivent une formation intensive de cinq jours assurée par le FNUAP.
Le centre d'Ankara en compte cinq.
L'une d'elles, une mère de quatre enfants originaire d'Alep, recrutée en juillet dernier et qui demande à ne pas être nommée, raconte que les femmes qu'elle aborde se mettent parfois à pleurer dès qu'elle leur adresse la parole.
"Elles nous font confiance et coopèrent avec nous", explique-t-elle, "car nous avons le même vécu, nous avons connu la même tragédie."
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