Une fois sur place, les plus jeunes sont les plus prompts à fraterniser tandis que du côté ouvrier certains ainés, parfois très encadrés par la CGT, regardent d'un oeil méfiant, voire hostile, ces jeunes "gauchistes" impatients venus leur faire la leçon.
A un vieux militant du PCF, de jeunes trotskistes rétorquent : "votre programme, c'est pas exaltant". A la Sorbonne c'est "plus marrant" que dans l'usine occupée, renchérissent de jeunes ouvriers.
Présente sur place, l'AFP raconte.
Les étudiants et les grévistes des usines Renault à Billancourt
PARIS, 17 mai 1968 (AFP) - Les usines Renault de Billancourt, considérées autrefois comme le "bastion" de l'agitation sociale, mais qui connaissaient un climat calme depuis quinze ans, sont redevenues, à la suite du mouvement des étudiants, le point de mire des observateurs.
La première constatation qui s'impose est le calme remarquable régnant à l'intérieur de l'usine occupée par les grévistes. Les milliers d'ouvriers venus de l'île Seguin - le centre des usines de Billancourt où se trouve la chaîne de montage des petites "Renault 4" - pour entendre les responsables syndicaux ne se sont livrés à d'autre manifestation que les applaudissements classiques qui saluent traditionnellement la péroraison des orateurs de meeting. Les interventions des syndicalistes ont porté essentiellement sur les revendications habituelles (salaires et durée du travail). L'atmosphère contraste avec la fièvre révolutionnaire qui anime les réunions des étudiants.
A l'extérieur de l'usine, l'atmosphère est très différente, car de nombreux groupes d'étudiants discutent avec les ouvriers. Ces étudiants appartiennent généralement aux différentes tendances trotskistes ou anarchistes. Mais, sur la "place nationale", à l'entrée principale de l'usine, un groupe d'étudiants communistes, autorisé par le service d'ordre de la CGT à stationner à cet endroit, a inscrit sur une grande banderole, une citation de Staline (sans le nommer) dont le texte a été un peu modifié. En effet on lit sur la banderole : "Les ouvriers prennent des mains fragiles des étudiants le drapeau de la lutte contre le régime antipopulaire". Or Staline avait écrit : "Le drapeau de la révolution". Interrogé sur les motifs qui les ont conduits à édulcorer la citation, un jeune étudiant communiste répond : "C'est parce que nous sommes anti-trotskistes"; Le mot "révolution" lui paraissait donc "trotskiste".
A quelques pas de là, un ouvrier de 67 ans, qui appartient au Parti communiste depuis 1934, explique patiemment à des étudiants "gauchistes" qu'il faut savoir avancer prudemment dans la voie de la révolution. "C'est pourquoi, souligne-t-il, le Parti communiste a réalisé avec la fédération de la gauche le programme commun. Bien sûr, ce n'est pas un programme communiste, mais il marque des progrès. Il faut d'abord mettre au pouvoir un gouvernement de gauche. Ensuite, on pourra marcher vers un gouvernement socialiste". Les étudiants écoutent poliment et l'un d'entre eux déclare : "Votre programme, ce n'est pas exaltant".
Dans tous les cafés, autour de la place nationale, des groupes mêlés d'étudiants et de jeunes ouvriers de Renault - habillés pareillement de "blue-jeans" et portant les cheveux longs, de telle sorte qu'on ne peut distinguer leur origine sociale - discutent fraternellement. Il s'agit de jeunes ouvriers qui trouvent qu'à l'intérieur de l'usine "c'est pas marrant". Ils sont allés à la Sorbonne où ils estiment que l'atmosphère est beaucoup plus intéressante. "A l'usine, disent-ils, les gars, cette nuit, ils dormaient ou jouaient à la belote. A la Sorbonne on discute, il y a des gars intéressants".
Un militant de la CFDT, qui vient se joindre à la discussion, précise: "Ce n'est pas notre faute. La CGT a pris entièrement en main le service d'ordre et sa première préoccupation est d'empêcher la discussion avec les étudiants". De nombreux petits groupes de fraternisation ouvriers-étudiants se forment ça et là, surtout dans les cafés et l'atmosphère générale autour des usines restait très calme à l'heure du déjeuner.
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