"Cela pourrait être romanesque lorsque c'est Arsène Lupin qui le fait mais c'est très regrettable lorsque c'est un sous-préfet qui agit de la sorte. C'est moins drôle, on rit jaune", a estimé le procureur de la République Nicolas Rigot-Muller, en référence au personnage de roman créé par Maurice Leblanc.
"Vos agissements en tant que haut fonctionnaire ont porté un préjudice certain à la collectivité et à la démocratie. C'est l'ensemble du personnel de l'État qui se trouve atteint par vos agissements", a expliqué le président, André-Frédéric Delay, pour justifier la prison ferme, allant au-delà des réquisitions du parquet qui avait assorti cette peine d'un an de sursis avec mise à l'épreuve.
Le tribunal a également prononcé une interdiction des droits civils, civiques et de famille pendant cinq ans, l'interdiction d'exercer toute fonction publique pendant cinq ans ainsi que trois amendes: 150.000 euros pour le préjudice subi, 10.000 euros pour le préjudice moral et 1.200 euros "pour que le contribuable n'ait pas à supporter les frais de justice".
Le visage impassible sous une barbe de plusieurs jours, le haut fonctionnaire de 51 ans, a refusé de s'exprimer devant le tribunal. Vêtu d'une polaire kaki sous un épais manteau de laine, il était jugé sans avocat après avoir renvoyé son conseil quelques jours seulement avant le procès, suite à "une absence d'osmose et des désaccords profonds sur sa ligne de défense".
Sa nouvelle avocate, absente, et qui n'avait pas eu le temps d'accéder au dossier, avait demandé le renvoi, refusé par le tribunal qui a considéré "qu'il avait eu amplement le temps d'organiser sa défense" depuis le précédent renvoi en octobre dernier.
Jugé pour abus de confiance, faux et usage de faux, il est reproché à l'ancien haut-fonctionnaire d'avoir subtilisé une huile sur toile signée de l'artiste russe naturalisée française Nathalie Gontcharoff (1881-1962) lorsqu'il était en poste en Haute-Loire entre 2006 et 2007.
un double "grossier"
Le tableau, baptisé "Dahlias" et représentant un immense bouquet de fleurs débordant d'un vase, a été acheté à Londres lors d'une vente consacrée à la peinture russe par la maison d'enchères Sotheby's, en mai 2012, pour 103.250 livres (près de 130.000 euros à l'époque).
Un tableau remisé dans le grenier de la petite sous-préfecture jusqu'à l'arrivée de M. Malecki qui l'expose avant d'en faire réaliser une copie "sur ses propres deniers". Un double "grossier" et légal car à des dimensions différentes de l'original, qu'il signe ensuite de sa main.
Amateur d'art éclairé maniant lui-même le pinceau à ses heures perdues, le prévenu qui s'était chargé de refaire la décoration de la sous-préfecture, peu à son goût, avait jugé devant son ancienne secrétaire que la toile "valait environ 150.000 euros", soit le montant estimé aujourd'hui par l'État.
"Tout laisse penser que cette copie a été faite à dessein. M. Malecki avait de très gros soucis financiers. Malgré son traitement très confortable, il n'arrivait pas à faire face à ses charges et à son train de vie", a estimé le président du tribunal.
"Sous le coup d'une pulsion incontrôlée", Hugues Malecki avait ensuite revendu la toile pour "10.000 euros" à un collectionneur, qui était entré en contact avec lui suite à une annonce pour une autre toile sur le site internet Ebay. Ils avaient procédé à l'échange à l'aéroport de Nice en 2012.
"Pourquoi franchir la ligne rouge et risquer de passer pour un escroc quand on jouit d'un prestige certain, pour un gain pas si important ? Il y a quelque chose de l'ordre de l'incompréhension. On aurait aimé le demander à un psychiatre", s'est interrogé M. Rigot-Muller.
Loin des traits d'esprit du "gentleman cambrioleur", le prévenu a préféré garder le silence.
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