"J'ai passé les trois dernières semaines en Italie, j'ai suivi les élections. Tout le monde en discutait de façon très émotionnelle et le résultat était tout à fait imprévisible", raconte l'auteur de "L'échelle de Jacob" qui vient d'être publié en français chez Gallimard.
"En Russie, la situation est complètement différente: on est sûrs à 100% du résultat", constate avec dépit celle qui est l'une des voix de l'opposition dans son pays, lors d'un entretien à l'AFP.
Crédité de 70% d'intentions de vote selon les derniers sondages, Poutine, qui règne depuis 18 ans sur la Russie, n'a quasiment pas mené campagne et a refusé de participer aux débats télévisés.
S'il n'avait pas été assassiné il y a trois ans au pied du Kremlin, la romancière aurait misé sur l'opposant Boris Nemtsov, l'"ancien camarade (de Poutine) qui est devenu son ennemi idéologique".
Quid d'Alexeï Navalny, l'opposant numéro un au Kremlin, interdit de participation en raison d'une condamnation ? "Il n'aurait pas pu être un vrai concurrent", estime-t-elle, tout en avouant une certaine sympathie pour la journaliste libérale Ksenia Sobtchak, créditée de 1-2% d'intentions de vote, aux propos "précis et intelligents".
Considérée comme l'écrivain russe vivant le plus lu à l'étranger, Ludmila Oulitskaïa n'a jamais hésité à prendre position contre le Kremlin, à défendre le metteur en scène Kirill Serebrennikov, assigné à résidence ou à s'engager dans des actions humanitaires, à destination des enfants.
"J'essaie d'être plus neutre"
Aujourd'hui, celle qui avait été attaquée par de jeunes militants pro-Poutine en avril 2016 semble vouloir prendre de la distance. "Je me vois en observatrice", dit-elle.
"Quand j'étais jeune, le pouvoir soviétique provoquait chez moi un sentiment de rejet, de colère et de dégout. Aujourd'hui, j'ai 75 ans et j'essaie de me débarrasser des sentiments négatifs, qu'ils soient liés aux gens ou à la politique. J'essaie d'être plus neutre et d'observer".
"A mon âge, j'ai l'impression que le ciel est plus proche que la terre", souffle-t-elle.
Face à un horizon politique sans surprise, "tout ce qui compte, c'est la liberté de s'exprimer. C'est ce que je fais", affirme la romancière qui réfute toute idée de censure.
"Je n'ai jamais eu de pression du pouvoir. Dans ma vie d'écrivain, je n'ai dû changer qu'un seul mot dans mes livres et c'est le mot +putain+", souligne celle qui a commencé à écrire en 1993, après l'éclatement de l'Union soviétique.
Malgré cette relative liberté, Ludmila Oulitskaïa n'a pas été invitée à rejoindre officiellement la délégation russe au salon Livre Paris, et a finalement été conviée par son éditeur.
"J'imagine que le gouvernement russe a voulu présenter des écrivains plus jeunes. C'est l'explication la plus diplomatique que je trouve", dit-elle, malicieuse, en attendant de retrouver le public français qui a été séduit dès ses premiers romans.
"Les pauvres parents", comme "Sonietchka", couronné par le Médicis en 1996, ont d'ailleurs été publiés chez Gallimard, avant de l'être en Russie, où les textes étaient simplement parus en revue.
Née en 1943 dans l'Oural où ses parents avaient été évacués pendant la guerre, Ludmila Oulitskaïa a grandi à Moscou et fait des études de biologie et de génétique. Elle perdra sa chaire de génétique en raison de sa proximité avec les dissidents.
Auteur de nombreux romans, nouvelles, pièces de théâtre et scénarios de films, elle est traduite dans de nombreuses langues, dont aujourd'hui le farsi, l'arabe et le géorgien. "Ca m'épate", confie-t-elle.
En partie autobiographique, son dernier roman "L'échelle de Jacob" raconte l'histoire d'une famille sur quatre générations à partir de 1911.
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