Du mouvement du 22 mars de la fac de Nanterre à l'évacuation de la Sorbonne mi-juin, en passant par la grève générale de mai, "Mai-68, c'est un tout", rappelle Christian Delporte, professeur d'histoire à l'université de Versailles-Saint-Quentin, selon qui, "commémorer, c'est-à-dire rendre hommage, est une idée un peu saugrenue".
Pourtant, dans la seule capitale et sa banlieue, plus d'une trentaine d'expositions, représentations de théâtre, concerts, débats ou colloques sont programmés, de l'université de Nanterre au Centre Pompidou.
"Un engouement incroyable", résume l'historienne Ludivine Bantigny, de l'université de Rouen, auteur de nombreux articles sur les événements de mai et qui a publié en janvier "1968, de grands soirs en petits matins" (Seuil). Des dizaines d'ouvrages et d'articles doivent également sortir d'ici mai, témoignage d'un intérêt massif et croissant des chercheurs au plus grand mouvement social français du XXè siècle.
"Mai-68 a concerné toute la société française", rappelle Christian Delporte, "dans toutes ses composantes, il y a une mémoire de 68 dans toutes les familles".
Cinquante ans après les barricades du quartier latin et l'occupation des usines Renault, les Français ont d'ailleurs tranché: 79% d'entre eux reconnaissent au mouvement des conséquences positives, selon un sondage Harris-Interactive paru début février.
"Cela contraste avec plusieurs politiques ou intellectuels qui se sont appliqués à dénoncer 68", s'enthousiasme Boris Gobille, maître de conférences en sciences politiques à l'ENS Lyon et spécialiste de la période, en visant par exemple Alain Finkielkraut ou l'ex-ministre de l'Éducation Luc Ferry.
Car chez les politiques français, le sujet demeure toujours clivant: dans un discours de campagne, en 2007, Nicolas Sarkozy voulait "liquider l'héritage de Mai-68", responsable selon lui d'un "relativisme intellectuel et moral". Cinq ans plus tard, François Hollande saluait au contraire "les piétons de Mai-68, qui marchaient la tête dans les étoiles et avaient compris qu'il fallait changer".
L'impossible consensus
Tout est politique? En tout cas pas la commémoration de l'événement, que le pouvoir politique a finalement renoncé à organiser.
"En le commémorant, on donne le sentiment d'une forme de récupération", estime Boris Gobille, en pointant l'impossible consensus, même à réduire la célébration à ses seuls contours festifs et libertaires.
A l'automne, il s'agissait pourtant, "sans dogme, ni préjugés", de "réfléchir sur ce moment et en tirer des leçons qui ne soient pas +anti+ ou +pro+", avait expliqué l'entourage du président de la République, qui constatait que "nous n'avons plus vraiment d'utopies et vécu trop de désillusions".
L'idée a été abandonnée un mois plus tard.
"Certains modes d'action ont flirté avec l'illégalisme: c'est difficilement appréciable pour n'importe quel pouvoir", observe Boris Gobille. Sa collègue Ludivine Bantigny abonde: "Que l'État imagine une seule seconde commémorer une grève générale, avec des occupations, dans une logique opposée à celle du marché, tout de même..."
Emmanuel Macron, né neuf ans après les événements, ne songeait-il qu'au 68 de la libération des mœurs, "un Mai-68 romantique", sociétal, "une vision extrêmement superficielle, mélange de candeur et de méconnaissance, qui ne sont que les clapotis de la vague", comme le suggère l'universitaire? "Peut-être", répond-elle.
En juillet 2015, le ministre de l'Économie Macron estimait pourtant dans l'hebdomadaire Le 1 que "l'erreur de beaucoup", à propos de 68, "avait été de se laisser intimider par la brutalité du moment, d'accepter de ne pas dire et de ne pas agir", conviction qu'il avait tirée de ses entretiens avec le philosophe Paul Ricœur, prof à Nanterre en 68.
Mais dès lors, commémorer quoi? "Est-ce que ça rentre dans la construction de la République? Au fond, 68, c'est une révolution qui n'a pas réussi, un immense échec", résume Christian Delporte.
A défaut de célébrer 68, le pouvoir va ouvrir ses archives: l'une des expositions les plus attendues présentera aux Archives nationales les événements de mai et juin 68 vus par la présidence de la République, le gouvernement, les administrations centrales ou la Cour de sûreté de l'État, qui cherchaient à endiguer la contestation.
"Il faut faire les choses sans émotion", résume Christian Delporte. "Or, la commémoration, c'est d'abord les émotions".
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