"Nous partons très tôt avec nos appareils photo, jumelles, trépieds et nous observons les oiseaux jusque vers midi, en silence", dit-il d'un ton tranquille. Sans cesser de jeter un oeil de-ci de-là: pas question de manquer le spécimen rare qui viendrait à se poser sur une branche autour du Lac aux Hérons, à Cali.
Féru de foot comme la plupart des Colombiens, Juan David se découvre une autre passion lorsque son père l'emmène un jour observer les oiseaux. "Les premières sorties avec mon papa ne m'ont pas trop plu. Mais après, si!", avoue-t-il mutin à l'AFP. C'était il y a trois ans.
Depuis, une fois par mois, il parcourt les forêts tropicales des alentours de Cali, troisième ville du pays avec environ 2,5 millions d'habitants.
Nichée au coeur de l'immensité verte du Valle del Cauca (sud-ouest) et de la cordillère des Andes, cette municipalité, qui s'étage de 900 à 4.100 m d'altitude, compte "562 espèces d'oiseaux, beaucoup plus que dans toute l'Europe", souligne l'expert Carlos Wagner.
Zones interdites par la guerre
"J'en ai déjà vu 491 et pris 200 en photo", se réjouit Juan David. En février, il était au Festival international des oiseaux, qui attire plus de 15.000 personnes chaque année à Cali, et y a donné une conférence sur ses "Trois ans de passion pour les oiseaux".
Trop petit pour atteindre le pupitre posé sur la scène, il s'est emparé du micro et a commenté les images d'expéditions menées avec ses parents, informaticien et avocate, et parfois d'autres amoureux des créatures à plumes. Parmi eux, aucun n'est aussi jeune que l'enfant. Certains pourraient être ses arrière-grands-parents.
Deuxième pays du monde pour la richesse de sa biodiversité, après le Brésil huit fois plus grand, la Colombie est celui qui compte le plus d'espèces d'oiseaux: plus de 1.920, soit 19% de celles de la planète.
Une immense partie du territoire, les zones rouges du conflit armé, reste à explorer à la faveur du processus de paix en cours avec les guérillas.
"C'est un pays tropical, point de contact entre la faune d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud. De surcroît en Colombie, les Andes se divisent en trois cordillères, avec de multiples vallées (...) donc beaucoup d'écosystèmes où ont évolué de nombreuses espèces", explique M. Wagner, 40 ans, directeur du festival de Cali.
Cet autre passionné a grandi dans la campagne environnante, près de la forêt San Antonio, site de la première grande expédition ornithologique jamais réalisée en Colombie, en 1910 par le Museum d'histoire naturelle de New York.
L'avitourisme, alternative économique
Menacé par la déforestation, cet éden de 900 hectares a été classé Aire d'importance pour la conservation des oiseaux (AICA en espagnol, IBA en anglais) en 2004 par la grande ONG britannique BirdLife. "Mais les AICA n'étant pas légalement reconnues en Colombie, il n'y avait aucune garantie" qu'elles soient respectées, ajoute M. Wagner.
Fort d'un projet de fin d'études en zootechnie sur l'avitourisme, il s'attèle alors, avec d'autres passionnés d'écologie, à sensibiliser les habitants pour qu'ils préservent la forêt et accueillent, contre rétribution, les observateurs d'oiseaux. "Nous sommes de grands romantiques, mais les agriculteurs ont des besoins: ils abattent les arbres pour cultiver", admet-il.
Bien que la Colombie soit le royaume des oiseaux, le tourisme d'observation y est peu développé.
Mais le gouvernement a pris conscience de cette potentielle source de revenus. Il attend à l'avenir "14.978 observateurs par an, qui dépenseraient près de neuf millions de dollars", selon une projection du ministère du Tourisme. La plupart viennent actuellement des Etats-Unis, du Canada, d'Argentine et du Royaume-Uni.
Dans la forêt de San Antonio, une dizaine de lieux et de guides accueillent déjà les observateurs, au tarif de 15.000 à 20.000 pesos (environ 5 à 6,5 dollars) la visite.
Olga Gomez, qui élève des lapins, a transformé sa petite ferme d'un hectare en paradis pour les oiseaux. Des arums blancs aux heliconias rouges, les fleurs sont là pour les séduire.
"Nous en avons observé jusqu'à 25 espèces, dont 18 de colibris", s'enorgueillit cette dame souriante de 66 ans, qui tient un registre des visiteurs de sa Finca La Conchita: un millier en un an.
Des espèces rares
Plus haut dans la montagne, à la Finca Alejandria, des nuées de colibris de toutes les couleurs volettent aussi autour de soucoupes rouges d'eau sucrée. D'autres espèces se régalent de bananes posées sur des plateformes en bambou.
Une famille française venue d'Amiens s'émerveille. "Dans nos grandes plaines du nord, les arbres ont disparu à cause de l'agriculture extensive. On voit de moins en moins d'oiseaux. Ici, c'est magique!", lance le père Marc Bulcourt, 62 ans, infirmier à la retraite.
Surgit alors un calliste multicolore, l'une des 79 espèces d'oiseaux endémiques de Colombie. "Tout observateur veut le voir au moins une fois avant de mourir!", s'exclame M. Wagner, en désignant un rarissime Multicolored Chlorochrysa Nitidissima, nom scientifique de ce petit volatile turquoise, jaune et vert anis.
Si Juan David l'a déjà aperçu, il n'entend pas abandonner sa quête: "Je n'ai pas encore vu de condor", explique-t-il. L'oiseau emblématique des Andes est menacé, ses populations de plus en plus réduites, donc difficiles à observer.
"Quand j'aurai visité toute la Colombie, j'aimerais aller dans d'autres pays", dit aussi l'enfant qui rêve, bien évidemment, de devenir ornithologue.
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