La police britannique a éclairci au moins un point mercredi: le couple, retrouvé dimanche sur un banc à Salisbury (sud de l'Angleterre) dans un état grave a été délibérément ciblé par une tentative de meurtre à l'aide d'un agent innervant.
"Attaquer un espion échangé, ainsi qu'un membre de sa famille, c'est une première", relève pour l'AFP Bruce Jones, spécialiste de la Russie pour le centre d'étude britannique Jane's Defence. Selon lui, les "dividendes" sont multiples: "C'est à la fois une punition, un avertissement à ceux qui voudraient trahir et une façon de déstabiliser le Royaume-Uni, très hostile à la Russie".
Pour les opposants au Kremlin, le qui et le pourquoi sont évidents.
"Le poison, c'est la méthode favorite du FSB", les services secrets russes, relève Youri Felshtinsky, historien et proche d'Alexandre Litvinenko, ex-agent du FSB empoisonné au polonium en 2006 à Londres, un homicide "probablement approuvé" par le président russe Vladimir Poutine, a conclu une enquête officielle britannique.
"Dans le contexte de la présidentielle russe, cela porte la marque d'un assassinat par Poutine. Il prévient le FSB que tout traître sera traqué et tué", assure-t-il dans une déclaration reproduite par l'agence Press Association. "C'est aussi un avertissement à tout opposant politique qui voudrait sérieusement défier le président", estime-t-il.
Pour Bill Browder, à l'origine d'une loi américaine prévoyant des sanctions pour les Russes reconnus coupables de violations des droits de l'homme, le président russe Vladimir "Poutine fait une démonstration".
"Il doit entretenir la terreur autour de sa personne. Pas besoin de tuer beaucoup de gens, il a juste besoin d'éliminer quelques personnes bien ciblées", dit-il à l'AFP
Vulnérable
Selon lui cependant, l'affaire n'est pas liée à l'élection présidentielle du 18 mars. Poutine "est sûr de sa popularité, parce qu'il bourre les urnes et qu'il se débarrasse de toute compétition", affirme-t-il.
Mais pourquoi une cible choisie au Royaume-Uni?
Bruce Jones estime que "le Royaume Uni est dans une position vulnérable, certains doutent du leadership de Theresa May (la Première ministre, ndlr), le pays est dans la phase cruciale du Brexit avec un gouvernement faible".
C'est selon lui le jeu du "contrôle réflexif": "vous provoquez l'autre qui réagit et vous utilisez cette réaction pour capitaliser et prouver que la Russie est une fois de plus une victime, injustement accusée. C'est bon pour l'opinion publique intérieure, toute critique ou sanction envers la Russie renforce le statut d'homme fort de Poutine".
Pour Bill Browder, cela tient au manque de réaction du Royaume-Uni après l'assassinat de Litvinenko : "En 2016, lorsqu'un juge de la Cour suprême a déterminé qu'il s'agissait d'une attaque organisée depuis la Russie, le gouvernement n'a rien fait. Cette inaction était une invitation pour Poutine à tuer dans ce pays".
En Russie également, des experts tel Pavel Felguengauer, analyste du journal Novaïa gazeta, voient la main de Moscou: "Je n'ai aucun doute que cela ait été fait sur ordre de Moscou puisqu'il n'y a pas d'autres parties qui pourraient y être intéressées", dit-il à l'AFP. "C'est tout à fait dans les traditions du FSB. Ils ont toujours pensé et ils pensent encore qu'il faut punir les traîtres pour maintenir la discipline au sein des services de sécurité".
Mais certains battent en brèche ces théories, comme Mikhaïl Lioubimov, ancien agent de renseignement soviétique et écrivain. "Toute cette histoire avec les accusations visant Moscou n'est qu'une comédie (...) Skripal, c'est qui? Il intéresse qui? Il a déjà été l'objet d'un échange, c'est-à-dire qu'il a été amnistié. Si on voulait le tuer, on l'aurait tué ici mais on l'a libéré", argumente-t-il, sans toutefois présenter de théorie alternative.
Et pour Alexandre Golts, analyste militaire russe, interrogé par l'AFP, "il ne faut pas oublier non plus que les gens comme Skripal ont un caractère d'aventurier, et personne ne sait dans quelle aventure il a pu se mêler en Grande-Bretagne".
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