Angèle, en CM2 à Châtillon (Hauts-de-Seine), trouve que dans sa cour d'école, "les garçons prennent beaucoup de place". "Il y a deux énormes terrains de foot et ils ont tendance à s'étendre quand le ballon sort des limites", décrit-elle. Ils "acceptent les filles qui jouent souvent avec eux et qui jouent bien, mais quand une fille vient pour la première fois sur un terrain de foot, ils lui disent de se pousser…"
Dans la plupart des cours de récréation, "on a un espace central non mixte, car occupé de manière systématique par des garçons - toujours les mêmes - qui jouent au football", confirme à l'AFP Edith Maruéjouls, géographe spécialiste de ces questions, qui a travaillé pendant cinq ans sur un projet d'école égalitaire.
Lors de ses travaux, elle a demandé à des élèves de primaire de matérialiser sur une feuille comment ils se représentaient dans la cour: "même si le terrain de foot n'était pas au centre, ils le dessinaient au milieu", raconte-t-elle.
Ce terrain prend parfois 80% de l'espace total. Et cette délimitation spatiale a une incidence sur "ce qui va ensuite se passer dans l'espace public", poursuit la chercheuse: "Les filles apprennent à ne pas être physiquement au centre, à ne pas négocier, alors que de leur côté, certains garçons n'apprennent pas à renoncer".
Selon elle, les enfants ont très bien compris qu'il y avait des valeurs d'égalité, mais ils se confrontent à un usage: quand le terrain est dessiné au sol, "la pratique du foot semble même légitimée". Les filles intègrent que leur place est "derrière la ligne" et qu'il y a "des interdits symboliques, qui vont perdurer".
D'où la nécessité d'apprendre aux enfants à partager l'espace aussi tôt que possible.
"Journée sans ballon"
Dans cette école de Mont-de-Marsan (Landes) d'un quartier défavorisé, l'équipe s'est attachée à briser des stéréotypes qui semblaient "ancrés dès le plus jeune âge". "A partir du CM1, les filles et les garçons n'arrivaient plus à jouer ensemble", raconte le directeur, Pierre Baylet.
"Un plan de bataille" a été lancé, avec un travail sur la littérature jeunesse ou des pratiques artistiques, mais aussi l'instauration d'une "journée sans ballon", une fois par semaine. "On a proposé des activités non sexuées comme des jeux de construction ou des raquettes, pour permettre aux enfants de jouer ensemble", poursuit M. Baylet.
Si au début certains "râlaient un peu", maintenant c'est "entré dans les mœurs". "Et si les garçons jouent toujours au foot", désormais "les filles peuvent aussi le faire. "Avant elles se l'interdisaient".
A l'école Marie-Curie de Bobigny (Seine-Saint-Denis), autre méthode: le terrain de foot est réservé aux filles une journée par semaine. Et un garçon refusant d'inscrire une fille dans son équipe risque jusqu'à un mois d'interdiction de cette pratique sportive. "Une des enseignantes s'est beaucoup investie pour apprendre aux filles à jouer", se réjouit la directrice, Véronique Decker.
De même, "un coin poupées" est ouvert à tous: "Comme pour le foot, on a expliqué que la mixité était impérative", souligne-t-elle.
"L'école a une responsabilité, or elle continue de véhiculer de nombreux schémas de société patriarcale", estime Sarah Rosner, professeur de littérature dans un collège de Bordeaux, qui a lancé avec ses élèves un projet pour "déconstruire les stéréotypes", via l'écriture et la réalisation de courts métrages ou encore un travail sur le langage.
Elle mise aussi sur la rénovation prévue du collège, et donc de sa cour de récréation: "On va être très attentif aux espaces de circulation des élèves et à bien distinguer l'espace de jeux et l'espace de sport", promet-elle.
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